Blog de Raistlin

Mon dernier blog n'est plus. Vive mon nouveau blog ! Vous trouverez ici mes écrits. En espérant que cela vous plaira. Bonne lecture !!

Nom :
Lieu : Picardie, France

vendredi, novembre 17, 2006

Chapitre 9 : Stars à gogo

Dans une sorte d’état second, j’avais suivi la messagère improvisée dépêchée par mon prince charmant. J’avais finalement et victorieusement pénétré le Palais des Festivals par la grand porte, devant une flopée de caméramans en folie et coiffant Woody au poteau. Le célèbre couple Allen était tellement sollicité, qu’ils ne pouvait faire deux pas sur le tapis rouge sans être arrêtés par un présentateur télé ou interpellés par les photographes. Décidément, pas facile la vie de stars.

Mon hôtesse, très professionnelle, avait profité de ce délai pour me faire passer les portes discrètement sans que ma présence ne gâche l’arrivée en direct des vraies stars. Elle connaissait son métier, respectueuse mais intraitable. L’illustre inconnue que j’étais à ses yeux n’intéressait pas le grand public et elle devait me faire disparaître du champ des caméras au plus vite. Sans pour autant me vexer. Elle m’avait tout de même vu arriver en compagnie du célibataire le plus en vogue du festival et elle ne devait pas être bien sûre de mon identité et des liens qui m’unissaient à cet acteur à la carrière prometteuse. Après tout, IL lui avait demandé de s’occuper de moi, ce qui signifiait quelque part que je n’étais pas une vulgaire groupie. J’osais à peine le croire moi-même …

De fait, le professionnalisme sans faille de la jeune femme lui composait un masque totalement neutre. Si elle avait eu un quelconque doute ou des interrogations à mon sujet, elle n’en laissait absolument rien paraître. Elle m’avait offert un sourire à la sincérité plus qu’artificielle et m’avait poussée gentiment mais fermement à l’intérieur du bâtiment.

Honnêtement, quitter le devant de la scène et échapper au regard de la foule me convenait parfaitement. Je n’étais pas venue là pour me faire voir, mais pour LE voir.

Pourtant, si j’avais espéré me dérober à l’ambiance folle qui régnait sur le tapis rouge en me réfugiant à l’intérieur, je m’étais lourdement trompée. Le magnifique hall d’entrée éclairé de mille feux fourmillait de monde et un brouhaha de conversations animées emplissait le lieu. D’instinct, je levai les yeux et fus prise d’un léger vertige en découvrant la splendide coupole de verre qui surplombait les colonnades et les gigantesques escaliers de marbre. La lumière diffuse de cette fin de journée perçait la verrière pour venir déposer des éclats d’ombre et de lumière sur tout ce qui se trouvait au dessous d’elle, hommes et choses confondus. Elle faisait rutiler le plexiglas transparent et les dorures des balustrades et miroiter le sol de marbre vert et blanc.

Etait-il seulement possible que je me trouve réellement dans ce décor féerique alors que le matin même j’observais tristement les toits de Paris au travers des vitres sales de mon appartement ? Tant de choses s’étaient déroulées depuis ce matin que j’en avais le tournis. Je me sentis soudain perdue dans cet univers qui n’était pas le mien. Après tout c’était leur fête à eux, leur grand messe. Un spectacle à ne pas manquer pour ces hommes et ces femmes qui vivaient du paraître et de l’image. Mais moi, je ne reconnaissais rien, ni personne. Où était donc passée Lola ? Où était-IL quand j’avais plus que jamais besoin de réconfort ?

Le souvenir si récent de la chaleur de SA paume contre la mienne ne me quittait plus et l’envie dévorante qui me tenaillait de retrouver cette douceur enivrante ne fit que croître en repensant au regard pénétrant que j’avais croisé quand il avait posé les yeux sur moi quelques instants plus tôt. Quelques siècles plus tôt, une éternité plus tôt. J’avais l’impression que chaque secondes passées loin de LUI était une vie entière de perdue.

Prise d’un nouvel accès de panique incontrôlée, je tournai la tête en tous sens quêtant deux prunelles faussement bleutées. Partout, je ne voyais que des inconnus qui bavassaient sans me prêter la moindre attention. IL n’était nulle part et je sentis un froid angoissant se diffuser dans mes veines tel un venin mortel dont seule SA présence aurait pu annihiler les effets dévastateurs.

Inconsciente de l’état d’anéantissement absolu dans lequel j’étais sur le point de sombrer, l’hôtesse m’indiqua un imposant escalier qui descendait dans les profondeurs du Palais. Je compris vaguement qu’elle me parlait d’un auditorium et d’un certain Michel d’Ornano. Je ne cherchai même pas à savoir qui était cet aristocrate à la noble particule et la laissai me guider sans broncher. Tandis que nous progressions, je balayai la pièce d’un regard vide et désabusé. Comment aurais-je pu profiter de la beauté d’un tel lieu alors que j’étais seule et misérable sans personne avec qui partager ce moment ? Lola, tu ne perds rien pour attendre, lâcheuse !

Nous atteignions les portes de l’auditorium quand justement :

« Jeanne ! »

Je me retournai pour voir Lola’s back’n kicking qui dévalait les escaliers et fonçait vers moi au pas de charge. Elle me tomba dessus tel un nuage de mouches affamées sur un morceau de viande fraîche. Reprenant son souffle, elle débita d’une traite :

« Ma vieille !! Te voilà enfin ! C’est quoi ce délire ?! Tu vas m’expliquer ! Je te laisse seule deux minutes et quand je me retourne, je te retrouve dans les bras du mec le plus sexy du festival. En te voyant avec LUI, j’ai ha-llu-ci-né ! »

Et moi donc !

Elle m’avait agrippé le bras avec ferveur et j’admirais l’effort surhumain qu’elle fournissait pour s’empêcher de me hurler dans les oreilles. Ce n’était quand même pas le lieu pour ce genre d’effusion. Elle se contentait donc d’enfoncer ses ongles profondément dans ma chair pour compenser son envie de donner libre cours à son potentiel vocal.

« Aïe ! » fis-je, pourtant terriblement soulagée de sentir une chaleur rassurante réinvestir mon corps sous la douleur involontairement infligée par les ongles manucurés de mon amie. J’étais trop heureuse qu’elle soit près de moi pour lui faire le moindre reproche. Sa présence me rassurait et sa voix calmement surexcitée et si familière me rappelait que j’étais toujours sur la planète Terre, dans le monde des humains. Ma petite bouée de sauvetage hystérique ignora bien sûr ma plainte et me gratifia d’un regard implorant qui réclamait une explication immédiate.

Comment aurais-je pu lui expliquer ce que moi-même je ne comprenais toujours pas ??

Depuis l’envoi de son premier SMS, j’avais vraiment l’impression de voler haut et loin par dessus les nuages. Je me contentais de rire en desserrant ses doigts toujours plantés dans mon avant bras.

L’arrivée toute en douceur de Lola avait fait fuir mon guide en tailleur noir. Elle avait aimablement pris congé de nous avant d’aller réintégrer son poste de vigie à l’entrée principale, non sans avoir jeté un coup d’oeil désapprobateur sur la robe définitivement transparente de mon amie.

J’avais eu l’envie stupide de la retenir pour lui demander de me répéter en détails le message qu’IL lui avait transmis à mon attention. Mais ma fierté m’en avait empêché, car pour le coup je serais vraiment passée pour une groupie. IL lui avait déclaré qu’il me retrouverait au cocktail. Mais quel cocktail ? Où ça ? D’ailleurs mon multi-pass me donnait-il accès à ce cocktail ?

« Lola ? Est-ce que tu sais si… ? »

« Comment se fait-il que tu ne sois plus avec LUI d’abord ? IL est où ? »

Bonne question, merci de l’avoir posée.

Elle lança un regard circulaire des plus discrets autour de nous. Levant le menton et se dressant sur la pointe des pieds pour tenter d’apercevoir le fond du hall. Mais au lieu de notre héros favoris, c’est une autre vision de rêve qui descendit l’escalier majestueux et se matérialisa à quelques pas de nous en la personne d’Antonio Banderas, himself, accessoirement accompagné de Mélanie Griffith, herself aussi. Malgré le choc de cette apparition inattendue, je ne vacillai pas d’un iota. A mon grand soulagement, les ordres envoyés par mon cerveau furent parfaitement respectés par le reste de mon organisme et je réussi fièrement à empêcher mes yeux ébahis de sortir de leurs orbites, tout en interdisant formellement à ma bouche de s’arrondir en un « O » d’étonnement béa.

Néanmoins, je ne lâchai pas Lola qui s’agrippait furieusement à mon bras. Ce qui devait nous donner l’apparence saugrenue de deux petites vieilles tétanisées, craignant une mauvaise chute ou une agression quelconque. Le bel hidalgo aux yeux noirs ravageurs nous salua poliment dans un anglais mâtiné d’un irrésistible accent espagnol. Il nous demandait tout bêtement son chemin. Ne voulant pas me ridiculiser une fois de plus devant l’un de mes acteurs préférés, je puisais dans mes dernières ressources pour lui répondre, quand une voix féminine grave aux sonorités très américaines me coupa dans mon élan :
« Antôôônio ! »

Une Pretty Woman sublime aux longs cheveux roux bouclés et à la bouche immense s’avançait vers le couple hispano-américano-terriblo-sexy, en faisant onduler sa somptueuse robe fourreau. J’hallucinais totalement !

Lola me fila un coup de coude bien inutile dans les côtes. J’avais beau savoir que je n’avais jamais fait partie de ces groupies déchaînées qui poursuivaient les stars de leurs assiduités, quémandant un autographe ou une photo, je devais bien avouer qu’à cet instant précis, j’avais beaucoup de mal à m’en convaincre. Il était difficile de rester insensible dans cet endroit truffé de célébrités.

Les trois stars s’embrassèrent avec une effusion plus ou moins sincère puis les deux femmes qui semblaient finalement savoir où elles allaient, se dirigèrent vers le fond de la pièce sans se soucier de nous une seule seconde. Leur compagnon se tourna vers Lola et moi, toujours muettes et immobiles, on était très douées pour ça ces derniers temps, il nous offrit un clin d’oeil complice agrémenté d’un petit sourire tout en haussant les épaules avant de suivre ces dames.

Charmant ! Bien que ce ne soit pas LUI, Lola est moi convînmes que toute interaction, quelle qu’elle fut, avec un canon de cet acabit était toujours bonne à prendre. A présent, j’avais complètement retrouvé mon entrain et nous étions toutes les deux excitées comme des puces. Ce genre de rencontre incroyable n’avait de valeur que si sa meilleure amie était là aussi pour la partager. Nous nous retenions de glousser comme deux gamines alors qu’elle me poussait sans ménagement vers l’entrée de l’auditorium.

C’était là que devait se dérouler la cérémonie de présentation du film de la soirée. Probablement le film de Woody Allen d’ailleurs. La salle de style amphithéâtre était immense et très moderne avec une large estrade en contrebas devant un écran de projection totalement démesuré qui recouvrait le mur du sol au plafond. Je notai que les invités commençaient à affluer et rejoignaient leurs sièges en papotant. Des hôtesses semblables à celle qui m’avait introduite un peu plus tôt, circulaient dans les allées en aidant les gens à s’installer. Je scrutai chaque visage, LE cherchant désespérément.

L’ironie du hasard voulut que la première personne de ma connaissance sur qui je pose les yeux fut Théo, Roi des gâcheurs de rêves. Je ne retins pas une grimace de déception en reconnaissant au loin, la voix nasillarde de Fashion Schiffer qui discutait bruyamment avec l’un de ses compatriotes, un petit homme vêtu de noir dont les cheveux blancs noués d’un catogan et les larges lunettes noires ne laissaient aucun doute sur son identité de photographe-styliste très en vogue.

Alors que je suivais Lola sans grand entrain pour aller rejoindre le couple germanico-photografico-frimeur, je continuais à arborer une expression de dégoût flagrant à l’idée de passer la soirée en si mauvaise compagnie. Karl L. ne sembla pas prendre ombrage de mon air fermé quand Théo fit les présentations. Au contraire et à mon grand étonnement, le petit homme pâle nous gratifia d’un salut et d’un sourire plaisant avant de retourner à sa place. Je me faufilai sur mon siège me sentant légèrement honteuse de mon attitude malpolie, les photographes n’étaient pas tous aussi viles et détestables que Schiffer, la Terreur des bacs à sable. Ma grimace commençait tout juste à s’effacer quand je ressentis soudain l’étrange impression qu’on m’épiait. Je regardai autour de moi et Baboum ! Je LE vis à l’autre bout de la rangée.

Tranquillement assis dans un confortable fauteuil gris perle, IL était nonchalamment appuyé sur l’accoudoir, un long doigt posé sur ses lèvres qui esquissaient un étrange sourire. IL m’observait avec attention et je sentis mon cœur bondir dans ma poitrine tandis qu’une subite bouffée de chaleur m’envahissait de la pointe des pieds au sommet du crâne. Je me demandais depuis combien de temps IL me regardait ainsi à mon insu. Je détournai vivement la tête et ne pus empêcher le geste instinctif qui me fit remettre en place une mèche de mes cheveux et vérifier que la bretelle de ma robe n’avait pas glissée. Je mordis ma lèvre inférieure en maudissant ma bêtise et sentis mon visage virer au rouge écarlate alors que son sourire s’élargissait à la vue de mon geste de coquetterie toute féminine. IL continuait de me détailler avec amusement tandis que je m’asseyais ou plutôt, que je me laissais choir sans grâce aux côtés de Lola qui n’avait rien remarqué, occupée qu’elle était à minauder auprès de Théo.

Je sentais mes forces me quitter sous l’émoi grandissant qui m’envahissait et qui m’interdisait toute réflexion sensée. J’avais la sensation que mon corps était mou, sans consistance, vidé de son ossature et je bénis le ciel d’avoir été aussi proche d’un fauteuil sinon j’étais quasiment certaine que je serais tombée à même le sol.

Savoir qu’IL était entrain de me regarder, moi. Que SES yeux magnifiques étaient posés sur moi en ce moment même affolait au plus haut point les battements de mon cœur et me procurait une sensation extrêmement troublante à la limite du paradisiaque et de l’insupportable. Mes mains tremblaient et je les serrais fébrilement l’une contre l’autre sur mes genoux.

Me regardait-il encore ? Dans un ultime sursaut de courage, je redressai vaillamment la tête et fus immédiatement happée par une myriade de couleurs vertes, bleues et noisettes qui se mêlait aux lumières artificielles des néons agressifs de la salle. Je buvais des yeux à en perdre la tête les minuscules flammes étincelantes qui pétillaient dans SON regard et qui m’ensorcelaient littéralement, s’écoulant tel un fleuve de lave en fusion dans mes veines.

C’était trop. Je voulais lui rendre son regard. Plus que ça, j’avais besoin de lui offrir en retour autant et même plus que ce qu’IL m’offrait et lui faire comprendre à quel point IL me subjuguait. Alors, dans un effort de concentration extrême, je puisai au fin fond de moi-même. Je rassemblai avec ardeur les battements effrénés de mon cœur, les frissons délicieux sur ma peau, les tremblements irrépressibles de mes mains, la rapidité inhabituelle de mon souffle. Puis, sans masque, sans rien LUI cacher, je plongeai mes yeux dans les siens et projetai vers LUI tout ce bouquet d’émotions qui m’habitaient, dans un arc en ciel virtuel tapissé d’étoiles filantes qui fusaient droit sur lui, détentrices de mes vœux les plus secrets.

Mon message silencieux mais plus qu’éloquent atteint son but sans difficultés et l’impact sur le récepteur fut saisissant. Je vis SA main quitter subitement SA bouche entrouverte et notai avec délice l’imperceptible tressaillement de SES paupières comme sous l’effet d’une légère décharge électrique. IL se redressa sur son siège, puis se pencha en avant dans ma direction, indécis. IL semblait désarçonné par la communion étrange que nous venions de partager. Peut-être ne savait-il pas que beaucoup de choses passent parfois par un simple regard et que les mots ne sont pas toujours nécessaires.

J’adoucis l’intensité que j’avais mise dans mon regard et appréciant pour une fois d’avoir l’avantage sur lui, je lui souris, tout simplement. D’un sourire qui voulait dire : « Je sais. Ca me fait le même effet à moi aussi »

De l’autre côté de la rangée de sièges qui commençait à s’emplir de gens, IL me fixait, incrédule, surpris, incertain. Je voyais sa poitrine se soulever un peu plus rapidement qu’à l’accoutumée. LUI, d’ordinaire si calme en public, semblait à présent perturbé, troublé. IL cligna des paupières et j’eu l’impression qu’il voulait me parler. Ses lèvres esquissèrent un mot, souligné par l’expression interrogative qui s’étalait sur son beau visage.

Mais notre contact visuel fut coupé par un groupe de personne qui cherchait leurs places. Je me tordis le cou pour essayer de ne pas LE laisser m’échapper. Mais l’écran des corps obstruait totalement ma vue. Je refusai de me lever au risque de retomber dans le jeu de la groupie sans cervelle et de détruire le lien enchanteur et si particulier qui venait de naître entre nous.

C’est le moment que choisit Lola pour s’intéresser à nouveau à moi. Elle n’avait rien vu, rien capté du moment de grâce divine que je venais d’échanger avec cet homme qu’hier encore je n’avais vu que par écran de télé interposé. Elle eut donc l’air très surprise quand elle vit ma tête.

« Wow ! Ma vieille, t’es blanche comme un cachet d’aspirine. On dirait que t’as vu un revenant ! Ah, ah … tu penses à LUI, pas vrai ?! » Oui, mais pas pour les raisons que tu crois, Lola. « C’était bien joué le coup de la cheville tordue sur le tapis rouge, franchement, ma vieille, du grand art ! J’aurais pas fait mieux. Et maintenant, tu vas tout me raconter, ce qu’il a dit, ce qu’il a fait. Je veux tous les détails ... »

Je l’écoutais à peine. Le rideau d’étrangers s’était enfin dissipé entre mon fauteuil et le SIEN, me révélant un atroce spectacle. IL n’était plus assis à SA place. Mon sang se glaça une nouvelle fois dans mes veines. Je me figeai, les yeux rivés sur SON siège vacant. Seul le bourdonnement familier de Lola, la libello-mouche, dans mes oreilles me confirmait que j’étais toujours en vie et consciente malgré ce fauteuil vide à quelques pas de moi qui m’anéantissait. Il devenait de plus en plus évident que LUI seul comptait et que SA présence commençait à devenir terriblement indispensable à mon bien être. Qu’est ce que j’allais devenir ?

Le brouhaha des voix qui m’entouraient diminua et fut remplacé par un tonnerre d’applaudissements. La soirée débutait.

lundi, novembre 13, 2006

Chapitre 8 : Comme au cinéma

Tandis que nous remontions tranquillement l’allée, tranquillement, c’est ça oui, toujours sous le feu nourri des snipers-photographes, j’avais terriblement conscience de SA présence à mes côtés et surtout de sa main dans la mienne.

C’était plus qu’irréel, c’était comme au cinéma, et je n’arrivais vraiment pas à croire à ce qui se passait. Ma vision était toujours légèrement brouillée par les éclats des flashs et je n’entendais que les battements effrénés de mon cœur qui résonnaient comme un roulement de tambour infernal dans mes oreilles. De plus, j’avais la nette impression que ma poitrine se soulevait sur le même rythme endiablé et qu’elle risquait à tout moment de jaillir de mon décolleté. Ce qui serait définitivement un scoop pour les collègues de ce cher Théo. Non, franchement, j’allais certainement bientôt me réveiller car j’avais dû m’endormir dans mon canapé devant ma télévision une fois de plus. Je ne voyais pas d’autre explication.

Et pourtant, le rêve ne semblait pas vouloir s’achever. Nous avions fait à peine quelque pas en direction de l’entrée du Palais quand un micro et une caméra jaillirent de nulle part juste sous le nez de mon fantastique cavalier. Il s’arrêta sans paraître surpris ni même agacé et offrit un énième sourire charmeur à la journaliste sans gêne qui commençait déjà à l’assaillir de questions dans un anglais haché et quasi incompréhensible. Je reconnus la petite brune au yeux inexpressifs que j’avais déjà vu animer une émission sur le cinéma sur Arte ou sur Canal, je ne me souvenais plus trop. Elle feint de m’ignorer superbement en se concentrant uniquement sur l’acteur américain que j’accompagnais, oui, oui, je l’accompagnais.

Mais j’avais bien sûr reconnu le coup d’œil en coin typiquement féminin qu’elle m’avait jeté, jaugeant en une fraction de seconde ma silhouette, ma robe et mes chaussures forcément. Merci Lola. Je n’avais pas manqué non plus de noter l’écarquillement imperceptible de ses prunelles quand elle avait vu nos deux mains enlacées et je sentis mon cœur se gonfler un peu plus dans ma poitrine ce qui ne me rassura pas étant donné l’état déjà plutôt critique de mon décolleté.

Au milieu du tonnerre sourd qui tambourinait dans mes oreilles, j’entendis la voix fluette de la brunette dont l’accent plus que pitoyable n’aurait pas dépareillé parmi l’équipe de rigolos qui officiait chez Skyrock. Elle présenta rapidement à la caméra les raisons de la présence de l’acteur en France et plus précisément au Festival du film américain de Deauville ( elle était en direct la donzelle ! ) Elle lui posa la sempiternelle question sans originalité sur le faux tatouage qu’il portait dans la série. Puis elle le flatta sur son talent incroyable. Je me pris à la détester cordialement lorsqu’elle insista inutilement et copieusement sur le mot « unbelievable » avec un rire de gorge très mal venu. Il la remercia en riant et je laissais avec bonheur les tonalités chaudes et sensuelles de SA voix suave s’écouler tout prêt de mon oreille alors qu’il lui offrait la sempiternelle réponse sans originalité qu’il devait avoir débité des centaines de fois à des journalistes encore plus gourdes qu’elle.

Puis, là, sans crier gare, il lâcha ma main.

Je crus que tout l’univers s’écroulait autour de moi et je réalisais brusquement que l’état d’euphorie dans lequel j’étais quelques minutes plus tôt ne tenait finalement qu’à cette main, au contact de sa peau contre la mienne. Je vis en un instant les couleurs du monde se ternir sous mes yeux et les battements de mon cœur, l’instant d’avant si rapides et incontrôlables, se mirent à diminuer lentement, inexorablement. Bientôt, j’en étais sûre, ils s’arrêteraient complètement et je m’éteindrais comme une bougie sans oxygène pour se consumer.

Pour essayer d’oublier le vide atroce que je sentais se cristalliser sur ma paume délaissée, je focalisai toute mon attention sur ses mains qu’il faisait gesticuler devant lui pour souligner ses propos. Ses doigts légers et aériens virevoltaient tandis qu’il ponctuait chacune de ses phrases d’un gracieux mouvement circulaire que je connaissais par cœur pour l’avoir vu et revu lors de nombreuses interviews télévisées. C’était sa façon à lui de s’exprimer et cela m’avait toujours fait craquer à l’écran. Alors le voir pour de vrai agiter ses longs doigts juste sous mes yeux me bouleversa plus que de raison et je manquai presque défaillir. A l’évidence, IL faisait le même effet sur l’apprentie Claire Chazal au brushing impeccable qui buvait littéralement ses paroles, sans trop de discrétion d’ailleurs.

Nous étions trop proches l’un de l’autre pour que je puisse lever la tête vers LUI et le regarder sans que cela paraisse étrange. IL était tellement grand que j’arrivais à peine au niveau de son épaule, je ne pouvais d’ailleurs pas m’empêcher de songer combien il devait être divin de reposer sa tête dans le creux de cette épaule accueillante et de se laisser bercer par la respiration calme et apaisante de cet homme fascinant.

Malgré cette présence masculine à mes côtés, si désirée et désirable, je remarquai que mon cerveau récupérait peu à peu ses sensations et sa lucidité. Et quand la jeune femme en quête de scoop débita sa nouvelle question d’un ton badin et l’œil pétillant, je saisis sans trop de difficulté ce qu’elle demandait à l’homme qui ferait un jour mon bonheur.

« And who’s that …young lady here beside you ? »

Elle n’avait pas pu s’empêcher, hein ? La curiosité est un vilain défaut, Madame. Mais alors qu’il penchait son visage de mon côté s’apprêtant à répondre, le gorille de Sécuritas surgit derrière nous, deux doigts posés sur son oreillette invisible. Il glissa quelques mots rapide mais efficace :

« No more time. You need to move on, please … »

« Oh ! All right… »

J’eus l’impression que mon partenaire de rêve avait été légèrement désorienté par l’interruption inattendue du Man in Black. IL offrit néanmoins un sourire désolé à la journaliste dont l’expression déçue en disait long, puis arquant un sourcil interrogateur, IL chercha des yeux son ami Alan Potter. Ce dernier se trouvait non loin, lui aussi interviewé par une chaîne de télé dont je ne reconnus pas le logo qui s’étalait en gros sur le micro du présentateur. J’étais dégoûtée de cette opportunité ratée. IL n’avait pas eu l’occasion de me présenter à la brunette, de toutes façons qu’aurait-il bien pu lui dire ? IL ignorait mon nom que je sache. Mais justement, à moins de m’appeler « Miss aux échasses » ou « Miss Jane Doe », IL aurait bien été obligé de me demander mon prénom et là …

Mister Gorilla nous poussa gentiment dans le dos et un rapide coup d’œil derrière moi me confirma qu’il fallait effectivement laisser notre place. Il y avait de plus en plus de monde autour de nous. Les robes de couturiers froufroutaient et les smokings taillés sur mesure étincelaient sous la clarté du jour qui s’amenuisait. Les stars plus belles et magnifiquement parées les unes que les autres se pavanaient en souriant à pleine dents sur le tapis rouge. Qui s’enlaçant par la taille, qui par les épaules dans des poses faussement naturelles devant les murs d’appareils photos.

Avec toute cette aventure rocambolesque, j’en avais presque oublié où je me trouvais. Je redressais la tête et aperçus alors à quelques pas de moi avec stupeur, Woody Allen en personne accompagné de sa jeune épouse au teint olivâtre et aux yeux joliment bridés. Ils souriaient eux aussi aux caméras, se déplaçant lentement sans aucune pression apparente. Pas d’italienne hystérique sur les talons.
Cette vision extraordinaire me fit rebasculer totalement dans la réalité. Cet événement deauvillais international attirait les chaînes de télé du monde entier et, je remarquais enfin la file de journalistes armés de micros et de caméras qui se tenaient en rang d’oignon prêts à quémander le moindre petit moment avec la première star qui passerait à leur portée.

Sans m’en rendre compte, nous avions rejoint Alan Potter et son épouse, guidés par l’homme de la sécurité qui semblait obéir sans discuter aux ordres de la voix qui logeait dans le fond de son oreille. On aurait pu le croire hypnotisé tellement on le sentait concentré sur son travail. Je frissonnais à l’idée que peut être on lui avait annoncé qu’un tireur embusqué menaçait d’abattre froidement l’un d’entre nous et qu’il était de son devoir de faire rempart de son corps pendant qu’il nous menait à couvert. Hum, je me repris en songeant que j’avais trop souvent maté Kevin Costner dans Body Guard. Dommage pour nous, notre garde du corps actuel ressemblait moins à l’acteur hollywoodien qu’à Jean-marie Bigard mais bon…Finalement quelque chose me dit que son but était juste de désengorger l’allée qui commençait vraiment à grouiller de monde.

Alors que nous atteignions l’entrée du Palais des Festivals, un monsieur à l’air coincé accueillit les trois américains avec condescendance, leur serrant vigoureusement la main et leur offrant les traditionnelles phrases de bienvenue. Ce ‘pince sans rire’ collé monté devait sûrement faire partie de l’équipe organisatrice du festival, celle dont on ne parle jamais dans les médias, qui n’a pas de visage mais qui est à la base de tout et sans qui rien ne serait possible. Il m’ignora réellement à la différence de la présentatrice de tout à l’heure, il ne daigna même pas regarder mes jolies chaussures à talons, objets de tortures que j’endurais avec un courage exemplaire selon moi et qui valait quand même bien un remerciement ou une reconnaissance quelconque. Mais non, rien, pas un regard. Tant d’effort pour rien ? Etais-je aussi insignifiante ?

Tout s’était passé si vite depuis ma simili-chute sur le tapis rouge que je n’avais même pas eu le temps d’échanger un seul mot avec la seule personne ici présente qui m’intéressait vraiment, et je sentais avec effroi que je risquais fort de me retrouver bientôt séparée de LUI si je n’agissais pas très vite.

Pourtant, IL se tenait là, plus prêt de moi qu’il ne l’avait jamais été et qu’il ne le serait peut être jamais. Pourtant, IL m’avait tenu la main, nous avions échangé des regards inoubliables. Pourtant, IL m’avait souri avec gentillesse et m’avait proposé de l’accompagner. Pourtant, IL ne s’était pas contenté de me relever juste pour jouer les chevaliers servants devant les dizaines de photographes et les centaines de fans agglutinés derrière les barrières. Pourtant, IL s’en allait. IL entrait sans se retourner à l’intérieur du bâtiment à la suite du monsieur guindé. Pourtant, IL me laissait seule à la porte, face à une hôtesse d’accueil vêtue de noir et cravatée de rouge qui me demandait d’une voix inflexible mon laissez-passer. Je tenais toujours à la main le précieux document et je lui tendis sans la regarder, les yeux toujours fixés sur la haute silhouette qui disparaissait derrière les grandes portes vitrée. Pourtant, IL allait forcément se retourner quand il se rendrait compte que je n’étais plus avec lui…forcément se retourner…

« Votre accès est limité à l’entrée des invités …Mademoiselle ? … Vous ne pouvez pas passer par cette entrée, elle est réservée aux … »

Aux stars, oui, je venais justement de voir mon étoile à moi me quitter, me plongeant dans les ténèbres de mon désespoir.

« Mais je suis avec … »

Qu’est ce que j’essayais de lui dire ? Est-ce que j’avais vraiment cru que j’étais avec LUI ? Ma pauvre fille. Lola elle-même me rirait au nez ! D’ailleurs où était-elle celle là quand on avait besoin d’elle ? Je sentais une vague de larmes sur le point de me submerger. Non, je ne pleurerais pas devant tout le monde et puis quoi encore ?

Je me forçai à sourire et demandai poliment :

« Oui bien sûr, par où dois-je passer ? »

Elle me rendit un sourire tout aussi forcé, mais elle au moins, elle était payée pour ça et n’avait pas un gigantesque tsunami lacrymal qui cognait à l’orée de ses cils. Elle m’indiqua une autre entrée sur la gauche nettement moins tape-à-l’œil que celle qu’emprunteraient toutes les célébrités pendant la soirée. Redressant fièrement le menton, je m’engageais vers cette porte de service sans éclat qui m’éloignait irrémédiablement de SON regard transparent et de son épaule que j’avais vu de si prêt mais dont il y avait bien peu de chance que je teste un jour l’agréable douceur.

Mais avant de passer la porte, une impulsion me fit me retourner pour tenter d’apercevoir une dernière fois SA séduisante silhouette avant qu’elle ne soit définitivement happée par la foule de ses semblables.

Et là, miracle, je LE vis à l’intérieur, de l’autre côté des portes vitrées. IL était revenu sur ses pas et discutait avec l’une des hôtesses au chignon rigide et sans défaut qui l’écoutait en secouant la tête négativement. Puis IL leva les yeux comme s’il cherchait quelque chose, ou quelqu’un, et mon cœur s’arrêta de battre pour de bon lorsque je croisai son regard. Le temps stoppa sa course folle un bref instant et tout se figea. IL me vit et son visage s’illumina d’un sourire absolument irrésistible qui me fit dangereusement vaciller sur mes hauts talons peu propices aux effets secondaires de ce genre de vision aussi féerique que dévastatrice. Sans me quitter des yeux, je vis qu’il bougeait les lèvres en s’adressant à l’hôtesse. Celle-ci regarda dans ma direction l’air plutôt surpris puis elle sortit précipitamment pour rejoindre sa copine hôtesse qui m’avait injustement refusée l’entrée principale. Elles palabrèrent à peine deux secondes qui semblèrent pour moi une éternité vu toutes les questions qui se bousculaient dans ma tête.

Lui, là bas, derrière ce mur de verre qui nous séparait, me souriait toujours, m’offrant un visage confiant et rassurant. Puis, IL me fit un petit signe de tête et à mon grand désarroi, tourna le dos, et sortit définitivement de mon champ de vision. Une panique sans nom, fulgurante et totalement déraisonnable m’envahit. Je faillis crier :

« Non ! »

D’ailleurs, j’avais du crier sans m’en rendre compte car l’hôtesse qui m’avait rejointe posa une main manucurée sur mon avant-bras et me dit :

« Calmez-vous Mademoiselle. Monsieur Miller m’a demandé de vous dire qu’il vous retrouvera lors du cocktail. Mais si vous voulez bien vous donner la peine de me suivre, je vais vous mener à l’intérieur. »

Je la fixai bêtement détaillant l’ovale parfait de son visage bronzé, le carmin de ses lèvres, ses boucles d’oreilles en or. Elle était belle et sophistiquée, tout ce que je n’étais pas. Mais je l’aurais embrassée comme un rien pour ce qu’elle venait de m’annoncer.

Je la suivis. Mon rêve continuait.

vendredi, novembre 10, 2006

Chapitre 7 : Tapis Rouge

Lola avait pris en mains les opérations avec une efficacité redoutable. Il ne nous restait que très peu de temps avant le début des hostilités, enfin de la soirée, et Théo ne s’était pas privé pour nous faire remarquer avec sa délicatesse toute masculine qu’il n’allait pas attendre sagement après nous qu’on ait fini de se pomponner et de se maquiller.
Moi-même je ne me voyais pas me changer dans la même pièce que ce pervers et j’avais été diablement soulagée lorsqu’au bout de quelques minutes, il avait marmonné une phrase indistincte sur une prétendue obligation professionnelle qu’il ne pouvait manquer.
Il était sorti de la chambre dans une envolée de chemise froissée après nous avoir donné rendez-vous dans le hall, nous laissant entre filles face au moment crucial du « Que vais-je porter ce soir ? »

En effet, le choix de nos tenues d’apparat était Cornélien étant donné la situation exceptionnelle qui nous attendait. Nous allions côtoyer des stars internationales et Lola elle-même n’avait jamais assisté à pareil événement. Il y avait de quoi être excitée, ce qu’elle était à un point quasi surréaliste.

Personnellement, je me moquais un peu de rencontrer Clint Eastwood ou Julia Roberts, mais je ne pouvais m’empêcher de penser avec une délicieuse appréhension à un certain sourire ravageur que j’avais une envie dévorante de revoir.
J’avais essayé de m’imaginer l’intérieur du Palais des Festivals, et le déroulement de la soirée en me demandant à quel moment j’aurais une chance de l’apercevoir et si l’occasion miraculeuse se présenterait d’échanger quelques mots avec LUI.
Pendant que je tirais des plans sur la comète, Lola avait prouvé tout aussi efficacement que moi le matin même, que des fringues de filles étaient bien plus à leur place dispersées sur un couvre lit que tristement suspendues dans une penderie. Elle avait sorti quasiment tout ce qu’elle avait emporté de plus habillé dans ses valises.

Actuellement, elle était entrain d’admirer à bout de bras une petite robe noire dont la transparence vertigineuse me donnait presque le tournis et qui aurait fait rougir tout un régiment d’infanterie. J’espérais qu’elle n’avait pas l’intention de me faire porter cette tenue de meneuse de revue mais sa voix légère et coquine me rassura tout en me faisant encore plus douter des sentiments sincères de Schiffer à son égard.

« Elle est géniale non ? C’est une Versace ! Elle doit coûter une véritable fortune. C’est Théo qui me l’a offerte cet après midi. Il ne m’avait jamais fait un aussi beau cadeau ! »

Ben voyons, j’omis de lui faire remarquer qu’il manquait une doublure à son chiffon, ce qui finalement ne m’étonnait pas vu que c’était Théo qui l’avait choisie. Mais le pire, c’est que je me sentis étrangement jalouse à l’idée que Lola et Théo aient fait les boutiques ensemble pendant que je me morfondais solitaire et affamée sur les planches de Deauville.

Affamée, pour ça oui, d’ailleurs mon estomac marqua son propre avis sur la question en lâchant subitement un borborygme significatif qui souligna clairement ma pensée. Je rougis légèrement mais Lola n’y prêta pas attention et déposa sur le lit son minuscule bout de tissu à 1 000 € le centimètre carré puis elle fouilla parmi la pile de vêtements et s’empara d’une boule de soie chiffonnée.

Sous mes yeux incrédules, elle se tourna vers moi et agitant le chiffon devant elle, elle s’exclama ravie :

« La voilà !! Je savais bien que je l’avais emportée. »

« Hein ? C’est quoi cette loque ? Je croyais qu’on avait dit que tu allais me prêter ta petite robe à fine bretelles ? »

« Ouais mais non, finalement je suis certaine que celle-ci t’ira mille fois mieux. Regarde. »

D’un geste théâtrale, elle déplia la robe pour me la faire admirer et je sentis un sourire fleurir sur mes lèvres quand je découvris la petite merveille.
La soie était effectivement froissée mais c’est ce qui faisait tout le charme du vêtement. Bien sûr la couleur rose cendrée aurait dû me faire fuir ou me donner l’envie de la plonger dans un bain de teinture noire et pourtant, sans que je puisse me l’expliquer cette teinte délicieusement rosée qui me ressemblait si peu, me plaisait. Je tendis la main pour toucher l’étoffe délicate, et fus agréablement surprise de sentir sous mes doigts la finesse de cette matière à laquelle j’étais si peu habituée. Lola observait toutes mes réactions avec un grand sourire satisfait. Décidément, elle me connaissait trop bien.

« Je ne t’ai jamais vu porter cette robe ? Elle vient d’où ? »

« T’occupes ma vieille, je la gardais pour une occasion particulière mais franchement ça me fait plaisir que tu la portes ce soir. Essaie-la pendant que je passe la mienne, on va finir par être à la bourre et Théo va nous faire la gueule. »

Si je n’avais pas été moi même terriblement impatiente de me rendre à cette soirée, j’aurais sauté sur l’occasion pour provoquer la « gueule » de ce cher Théo. Mais ce n’était pas le soir pour jouer à ce petit jeu et finalement, en deux temps, trois mouvements nous avions revêtus nos habits de lumière et nous finissions de nous aider mutuellement à remonter nos fermetures éclairs lorsque Théo fit irruption dans la pièce en grommelant. Il s’arrêta net en nous voyant ainsi affublées et pour une fois je dus admettre que j’appréciais le regard admiratif qu’il posa sur Lola puis sur moi. Un sifflement s’échappa de ses lèvres alors qu’il s’approchait de sa dernière conquête en date et l’enlaçait possessivement par la taille.

« Je vais faire des envieux ce soir. On dirait que je ne me suis pas trompé en choisissant cette robe, chaton. »

Il embrassa Lola dans le cou, la faisant glousser. Puis relevant les yeux et me fixant de ses yeux couleur acier inoxydable :

« Toi aussi Jeanne, t’es pas mal du tout. Le vilain petit canard prend enfin son envol !! Ah !Ah ! »

Je l’aurais étranglé de bon cœur. Comment avais-je pu croire qu’il était capable de compliments sincères ? Je le maudis intérieurement jusqu’à la dix-huitième génération, ce qui était de toutes façons bien inutile étant donné qu’il n’aurait jamais d’enfant vu la petite taille de sa … Maserati spéciale célibataire endurci.

« Tu nous laisses encore deux minutes, Bébé ? On doit se maquiller et se passer un coup de peigne. Parce que deux épouvantails même parés de beaux atours feront toujours peur aux oiseaux ! »

Lola faisait dans la métaphore à présent ? Je haussais les épaules et me dirigeais vers la salle de bain, ignorant ostensiblement le ricanement de Théo et le bruit de succion écœurant qui suivit.

Je ne m’étais pas encore regardé dans une glace et ce que je vis dans l’immense miroir mural qui recouvrait tout un pan de la pièce me laissa sans voix. Ca ne pouvait pas être moi, cette jeune fille qui me dévisageait. Pendant la séance d’essayage, j’avais détaché mes cheveux et ils cascadaient sur mes épaules, pour une fois exempts d’épis malvenus et indisciplinés. Le noir intense, merci L’Oréal Perfection, de mes mèches bouclés s’harmonisait parfaitement avec le rose poudrée de la petite robe vaporeuse et très, très courte que je portais.
Elle s’arrêtait au dessus du genoux, enfin juste en dessous des cuisses si tant est qu’on puisse définir le début d’une cuisse. Mais je constatais avec soulagement qu’elle n’était pas transparente grâce aux multiples couches de soie froissée superposées et taillées en dégradé, légèrement plus longue vers l’arrière. Ca m’arrangeait d’ailleurs car finalement je n’avais pas super envie de montrer ma culotte à tout le monde. La robe n’était pas cintrée à la taille mais un large bandeau de dentelle ajourée soulignait la poitrine et les épaules étaient à demi cachées par d’adorables manches bouffantes de style très victorien.
Si mes cuisses n’avaient pas été aussi potentiellement visibles et mon décolleté aussi audacieusement indécent, je me serais presque sentie dans la peau d’une héroïne de Jane Austen. Mais à bien y réfléchir, j’avais du mal à imaginer Lizzie ou Emma aussi courte vêtues et les cuisses à l’air.
Quoiqu’il en soit, robe courte ou pas, j’étais assurément prête à rencontrer Mister Darcy.

Lola me rejoignit alors que je passais un rapide coup de blush sur mes joues. Elle m’apporta son aide experte à l’application de rimmel et autre eye-liner. Elle retoucha d’une main adroite son propre maquillage qui n’en avait absolument pas besoin étant donné qu’elle était toujours impeccablement fardée en tous lieux et toutes occasions. Je me demandais d’ailleurs souvent à quelle heure elle se levait le matin pour appliquer fards et fond de teint. Pour ma part, je n’aimais pas trop me cacher derrière ses faux semblants, ni abîmer ma peau avec des produits certainement testés sur des animaux. Et puis, j’osais croire que je n’avais pas besoin de tout ça. Je pensais vaguement à Günter et au regard qu’il m’avait lancé avant de m’offrir un verre, pas plus tard que tout à l’heure. Il ne m’avait pas prise pour un vilain petit canard lui !

Subitement Lola lâcha crayons et bâtons de rouge et s’exclama d’une voix enjouée qu’elle avait failli oublier la touche finale de ma tenue. Elle repassa dans la chambre, se tortillant d’une démarche chaloupée grâce à sa Schiffer-robe taillée dans un tissu aussi moulant qu’invisible. Elle farfouilla à nouveau dans une de ses valises et extirpa fièrement une paire de chaussures ultra féminines à talons hauts.

« Pour toi ma vieille ! J’attends depuis trop longtemps de te voir enfin porter de vraies chaussures de filles ! »

« … »

Que dire ? Elle avait indiscutablement raison et je n’y avais pas pensé jusque là mais pour une fois, je ne me voyais pas vraiment en robe du soir, chaussée de vieilles Docs usées.

Alors que je glissais mes pieds entre les fines lanières de cuir pailletées, je sentis mes orteils rechigner à s’installer dans ce nouveau lieu de villégiature. J’avais déjà mal et j’allais pourtant devoir marcher avec ça durant toute la soirée. J’eu soudain un immense respect pour ses mannequins haut perchées sur leurs talons aiguilles qui défilaient sur les podiums comme si de rien n’était.

Finalement, à notre grande fierté nous avions été exceptionnellement rapide pour nous préparer et après nous être cordialement félicitée l’une l’autre, nous avions rejoint Théo. Il était redescendu nous attendre au bar de l’hôtel et sirotait des Martini Dry en compagnie de spécimens de la gente féminine qui me rappelèrent des abeilles autour d’un pot de miel. Lola les expédia prestement en se pendant au bras du photographe et en leur exhibant sans vergogne son plantureux décolleté et ses formes avantageusement moulées. Je me retins d’éclater de rire devant leur mines dépitées, elles avaient peut être espéré qu’il inviterait l’une d’elles à fouler avec lui le tapis rouge du Palais des Festivals. Mais non, Mesdemoiselles, ce soir c’est nous qui aurions cette grande faveur. Enfin, moi je ne faisais qu’accompagner le couple, hein ! Je n’avais aucun lien avec Théo, et je priais tous les saints de ma connaissance pour ne pas me retrouver en photo avec eux dans un quelconque magazine.

Quelques minutes plus tard, le temps de traverser la rue et nous y étions. Il y avait encore plus de monde qui se pressait le long des barrières de sécurité. De là où j’étais, je voyais les flashs crépiter autour d’une haute silhouette distinguée qui me parut vaguement familière, un acteur célèbre sûrement, il y en aurait des tas ce soir.
Toute cette effervescence m’étourdit brusquement et j’eu comme un mouvement de recul. Mais Théo avait déjà été reconnu par certains de ses collègues photographes qui moins chanceux que lui n’avaient pas gagné le pass special guest et qui se retrouvaient à couvrir l’événement plutôt qu’à le vivre. Peu rancuniers en apparence, ils étaient tous entrain de canarder le couple formé par un Théo au sourire suffisant et une Lola sublime mais à la cambrure légèrement aguicheuse. Refusant absolument d’être associée à ce tableau insupportable, je tentai de me faufiler discrètement sans me faire remarquer mais un garde de la sécurité me barra le passage. J’agitais gentiment mon pass, en frimant quand même un tout petit peu je dois l’avouer, devant son visage fermé et sérieux et il me fit un bref signe de tête pour m’indiquer que je pouvais passer. Ma frimousse notablement inconnue n’attira pas la moindre attention de la part de la foule aussi anonyme que moi et je m’en réjouis tandis que je crapahutais tant bien que mal vers l’entrée du Palais.

Je réalisai trop tard que toutes les attentions étaient justement tournées là où je me rendais, vers trois personnes arrêtées dans l’allée et qui me bloquaient le passage. Parmi elles se trouvait la haute silhouette que j’avais remarqué précédemment. Là aussi les flashs se multipliaient en éclats de lumière incessants qui m’éblouissaient, s’incrustant obstinément sur ma rétine.
Je clignai des yeux plusieurs fois sans réussir à les faire disparaître. Je me sentais terriblement mal à l’aise et envahie d’une désagréable sensation de déjà vu. Puis j’entendis l’un des photographes appeler un nom et enfin je compris qui se trouvait juste devant moi sur le fameux tapis rouge des stars.
IL me tournait le dos, bien sûr, encadré par son ami réalisateur, Alan Potter et sa femme d’un côté et par son attaché de presse de l’autre. Je réalisai une seconde trop tard pourquoi cette dernière s’était éloignée. Pour ne pas polluer le champ des photographes. Ce que j’étais en ce moment même, bêtement et totalement involontairement entrain de faire. Je vis les photographes me montrer du doigt et me lancer des regards menaçants. Je pouvais deviner ce qu’ils pensaient sans trop de problème « C’est qui celle là ? Elle va virer du champ ou quoi ? » Par chance leurs objectifs n’étaient pas surmontés de canons de fusils car quelque chose me disait que ces snipers de photos n’auraient pas hésité à me cribler de balles. Ce qui aurait fait sensation dans tout le festival mais un peu tâche sur le tapis tout de même.

Un homme de la sécurité se précipita vers moi, en portant la main à son oreillette. Je me demandai si lui était armé par contre. Je voulus lui faciliter le travail en virevoltant sur moi même pour aller me cacher dans le premier trou de souris venu. Mais j’avais oublié que j’étais montée sur échasses et alors que Monsieur Sécuritas m’attrapait le bras sans ménagement, je me tordis théâtralement la cheville et je tombai à la renverse et sans trop de grâce à mon avis, dans ses bras musclés mais très peu accueillants. Aïe !
Ma petite cascade improvisée attira tous les regards et fit se retourner le couple Potter et leur fabuleux compagnon. Tout le monde me fixait avec surprise ou agacement. Mais, moi, dans le lot de tous ces regards incisifs, je ne voyais que SES yeux qui m’observaient avec, je l’aurais juré, une pointe d’inquiétude non feinte. Ils étaient encore plus magnifiques que lorsque je les admirais derrière mon écran de télé et définitivement ‘pas bleus’. Malgré ma situation plutôt scabreuse, je pris le temps de noter les touches de vert et de noisette qui se mêlaient harmonieusement dans ce regard translucide à l’intensité bouleversante.
Puis, alors que le grand protecteur de la sécurité dans le monde me repoussait loin de lui comme une pestiférée, je vis avec incrédulité une longue main fine se tendre vers moi avec une irrésistible galanterie pour me proposer de l’aide. Prends-en de la graine Monsieur le gorille insensible de chez Sécuritas !

Le temps sembla s’arrêter un bref instant. Je percevais les bruits comme lointain et étouffés. Les images de cette scène irréelle défilaient au ralenti, le tout entrecoupé du crépitement assourdi des flashs. Ce genre de choses n’arrivait que dans les films, j’en étais sûre. J’hésitais pourtant une infime seconde avant de prendre la main qui m’était si spontanément offerte.

SA paume était bien réelle, chaude et douce contre la mienne et je le sentis avec délice resserrer légèrement ses doigts autour des miens alors qu’il m’aidait à me redresser. J’avais l’impression d’avoir été propulsée comme par magie à l’intérieur de mon poste de télévision et d’être devenue l’héroïne de cette série que j’adorais. Lui et moi, contre nos ennemis imaginaires, face au monde et aux millions de téléspectateurs qui nous regardaient chaque lundi soir.

Certes, néanmoins, en cet instant magique, je me retrouvais dangereusement en équilibre sur mes deux échelles miniatures et je tanguais légèrement comme un marin sur le pont de son navire. Oups ! Comme s’IL avait deviné mon désarroi, IL m’offrit un sourire bienveillant et un son délicieux s’échappa de ses lèvres tel un papillon caressant ma joue :

« Are you OK, Mademoiselle ? »

« Hein ?! » Il me parlait à moi, au milieu de tous ses gens, sous le feu des caméras et des appareils photos, en plein milieu de ce tapis écarlate qui ne devait pas être loin d’avoir la couleur de mon visage actuellement.

« Ou…oui, …Yes. I’m… OK … »

Je me demandai si on remarquerait lorsque je me pincerais violemment pour me réveiller. Car forcément ce ne pouvait être qu’un rêve. Je vis mon sauveur se tourner vers ses amis et leur dire quelques mots puis s’adressant à moi, il m’offrit un large sourire qui manqua de m’achever totalement :

« Shall we go ? »

IL m’indiquait poliment l’allée devant lui et la porte du palais des congrès ou plusieurs personnes semblaient attendre après nous, enfin après eux du moins. Sans trop réfléchir et sans vraiment avoir le choix vu qu’il n’avait pas lâché ma main, je le suivis. Si ce n’avait été mes horribles chaussures inconfortables au possible, je me serrais cru entrain de marcher sur un nuage.

Un éclair de lucidité me fit jeter un œil en arrière et j’aperçus non loin, les yeux ronds et étonnés de Lola qui me fixaient avec une stupeur indescriptible. Je lui fis un pauvre petit sourire en haussant timidement les épaules puis poursuivis mon chemin à petits pas. Mon cerveau toujours complètement déconnecté de la réalité.

Chapitre 6 : Un papillon et une mouche

Il avait dit « Comme c’est dommage ».

Les mots résonnaient en boucle dans ma tête comme un disque rayé. Le souvenir de sa voix chaude et suave virevoltait comme un papillon à mes oreilles. Et je n’avais aucune envie que ce charmant petit insecte volant me quitte.

Pourquoi cette petite bestiole s’en irait-elle d’ailleurs puisque là sous mes yeux s’étendait juste pour elle un immense champ de fleurs à butiner. Une palette de tâches multicolores qui scintillaient et se reflétaient dans ma rétine tel un somptueux écrin arc en ciel au creux duquel reposaient deux opalines translucides. SES yeux.

J’avais croisé son regard dévastateur l’espace d’un fugace instant et je m’étais soudain sentie toute petite et idiote face à lui.

Idiote d’avoir gobée le mensonge éhonté de mon écran de télévision qui m’avait fait croire pendant des mois que ses yeux étaient bleux ce qui n’était pas la réalité. Et toute petite parce qu’il était tout bonnement plus grand que moi !

Décidément ses yeux avaient une fâcheuse tendance à me bouleverser, et à causer chez moi une incurable addiction qui s’amplifiait de façon phénoménale avec le temps. Sur l’échelle de Richter, spécialité fine-eyes, j’avais atteint un niveau critique de dépendance qu’il allait finir par se muer en un besoin quasi maladif de les contempler quotidiennement. Il était clair qu’ils devenaient un danger potentiel pour ma santé mentale.

Le doux battement d’aile du papillon disparaissait progressivement pour être remplacé par le bourdonnement désagréable et insistant d’une grosse mouche. C’était la voix de Lola qui tentait de se frayer un chemin jusqu’à mon cerveau déboussolé. Elle me parlait tout en me tirant par le bras pour me relever car j’étais toujours assise par terre dans l’ascenseur, les genoux repliés sous le menton. Je finis par me redresser avec un léger soupir et je laissais s’échapper à regret le joli papillon et l’image du champ de fleurs se volatilisa.

« Comment ça va ma vieille ? Tu m’as fait peur, j’ai cru que t’étais tombée dans les vapes ! Tu me diras, je te comprends ! Ca m’a fait un choc à moi aussi. Punaise, quand Potter à ouvert la bouche, j’étais trop surprise pour sortir une phrase correcte. Ils ont du me prendre pour une demeurée incapable de parler deux mots d’anglais. Ca fait pas professionnel tout ça … »

Et moi alors ? Je n’osais même pas penser au spectacle pathétique que j’avais dû leur offrir, et à l’expression ébahie qui avait du s’étaler sur mon visage. J’imaginais un petit smiley bavant aux yeux exorbités, vautré sur le sol et je fermai les yeux en secouant la tête pour chasser cette image déplaisante. Pourtant au fond de moi, je me sentais toute légère et une étrange sensation de bien-être se diffusait dans tout mon être lorsque je repensais au dernier regard qu’il m’avait lancé. Avais-je imaginé le sourire qu’il m’avait adressé, à moi, au moment où les portes se refermaient ? Si je l’avais rêvé, alors je ne voulais pas me réveiller …

Finalement, les portes de l’ascenseur s’ouvrirent au deuxième étage, sur un couloir complètement désert cette fois. Bzzz, Lola, la mouche agaçante, continuait son monologue en me poussant devant elle sans ménagement.

« C’est dingue ça, il a fallu qu’on tombe sur lui justement au moment où j’allais t’annoncer ma super nouvelle ! »

« Hein ?! »

« Mais ouais !! Ca va vraiment pas toi, on dirait !! »
Elle s’arrêta et me fit pivoter pour me mettre face à elle. Elle claqua des doigts plusieurs fois sous mon nez prenant un air soucieux et concerné, façon John Carter avec un patient.
« Suis mon doigt. Oxo, la Terre ?! Eh, Oh !! Wakie-wakie. T’es où là ? Je te sens pas très réceptive. »

« Si, si, je t’écoute »
Je lui offris un sourire que je voulais rassurant mais elle ne défronça pas les sourcils. J’espérais qu’elle n’allait me faire passer un scan crâne avec bilan complet et radio du thorax. Mais, finalement, elle fit la moue et se détendit, elle n’aurait pas à demander un avis chir’. Ouf !

« Mouais, t’as pas vraiment l’air bien. Faut que tu te reprennes, ma vieille parce que là, c’était rien !! Ce que j’allais te dire justement, c’est qu’on va pouvoir assister à la soirée au Palais des Festivals. Et il y a de très fortes chances qu’on tombe encore sur lui. Et sur plein d’autres stars au passage. »

Elle était toute excitée. Je la connaissais par coeur et je savais que pour elle, cette soirée, en plus d’être un moyen de croiser à nouveau son idole, était surtout une super opportunité pour son travail. J’avais tendance à oublier qu’elle était à Deauville pour le boulot quand même.

« ON va pouvoir assister ? Moi, je ne suis ni photographe, ni journaliste, ni rien du tout. Comment veux-tu que je rentre là bas ? »

Il fallait bien qu’une de nous deux soient un peu réaliste dans cette histoire.

« Oh, là, là, Madame rabat joie. Théo Schiffer, tu connais ? »

Arrghh !! J’aurais du m’en douter. Je devrais mon bonheur à ce crétin. Quel ironie !

Néanmoins, je ne pus m’empêcher de sourire tandis que la délicieuse perspective de LE revoir le soir même commençait à se concrétiser. Je sentais comme un infime battement d’aile de papillon sur ma joue. Il n’était pas loin.

« Théo ne prendra pas de photos ce soir, il est special guest et il m’a proposé d’être sa partner. C’est la première fois qu’on sera en public ensemble. » Elle était rose de plaisir. « Et je te raconte pas comment ça va booster ma carrière en plus ! »

Je ne doutais pas qu’être prise en photo en compagnie du plus grand coureur de jupons de Munich la rendrait tristement célèbre. Les pages des revues People regorgeaient de ces jeunes femmes inconnues accrochées au bras d’hommes comme lui qui leur promettaient monts et merveilles. En général l’édition suivante du magazine nous offrait la photo d’une fille différente tout aussi anonyme vouée à disparaître encore plus rapidement. Je ne voulais vraiment pas que cela arrive à mon amie.

« Lola, est ce que tu es certaine de toi ? Je veux dire avec Théo, tu sais … ? »

Nous avions repris notre progression dans le couloir et je savais que nous aurions bientôt atteint la chambre de Théo, je devais faire vite.

« Il t’a déjà fait souffrir par le passé. T’as pas oublié quand même ? Je ne voudrais pas qu’il recommence. Je m’inquiète pour toi tu sais.»

Lola m’offrit un large sourire et me passa un bras autour des épaules.

« Jeanne, t’es mon ange gardien, je t’adore. Mais je sais ce que je fais, crois moi. J’ai pas oublié, je t’assure mais je m’amuse trop depuis que je suis avec lui. Si tu le connaissais aussi bien que moi ... »

Non, non, sans façon franchement. Plutôt mourir ! Les quelques moments que j’avais partagé avec eux depuis mon arrivée à Deauville ne m’avaient vraiment pas donné l’impression qu’il avait changé. Mais Lola était grande et je ne voyais pas ce que je pouvais faire à part la mettre en garde contre ce bourreau des cœurs.

« J’espère vraiment que tu as raison, ma belle. Je n’ai pas envie de te ramasser à la petite cuillère quand tout ça sera fini »

« Pas de danger, ça n’arrivera pas ! »

Elle me colla un baiser retentissant sur la joue juste au moment où nous atteignions la chambre du photographe. Un brouhaha sonore émanait des murs et à peine Lola eut-elle poussé la porte qu’une musique assourdissante nous submergea. Encore une chose que j’avais oublié chez Théo, il adorait la techno.

« Ahhh, vous voilà enfin toutes les deux !!! Je commençais à croire que j’allais aller à cette soirée tout seul. »

Il raccrocha son téléphone portable et le jeta sans façon sur le lit d’un mouvement qui m’énerva sans raison particulière, juste parce que c’était lui et qu’il portait une chemise blanche informe, au tissu étrangement luisant et froissé sur un pantalon de toile à fines rayures noires et blanches maintenu par une paire de bretelles incongrues, très fashion. Il s’était mis sur son 31 et je l’aurais bien vu défiler sur un podium au milieu d’autres mannequins à la tenue tout aussi loufoque. Si je n’avais pas été déjà persuadée qu’il s’apprêtait à faire son show lors de la soirée, j’en étais maintenant convaincue.

Lola se jeta dans les bras de son amant et ils s’embrassèrent goulûment. Je me retins de faire la grimace et détournais les yeux. Je laissais tomber sur le sol mes deux sacs que j’avais trimballé toute l’après midi et qui me sciaient horriblement l’épaule. Me massant le cou, je m’approchais discrètement de la fenêtre qui, j’aurais du m’en douter, donnait directement sur le front de mer en face du Centre de Thalassothérapie. Il avait vraiment une sacré veine le Théo, les meilleures chambres, les plus belles femmes, une veine de cocu en fait. Cette pensée me fit ricaner. Puis mon oeil fut attiré par une foule de personne qui grouillait à la droite de l’hôtel. Je reconnus l’imposant Palais des Congrès. Il avait été paré aux couleurs du festival et orné de drapeaux et de grandes affiches. Les mêmes que j’avais vu un peu partout durant mes errances solitaires dans Deauville.

Pourtant lorsque j’avais rejoint l’hôtel quelques minutes plus tôt je n’avais pas remarqué toute cette effervescence, je devais être dans ma bulle pour ne pas changer. En tous les cas, à présent, je voyais très bien la multitude de photographes amassés devant les portes du palais et les badauds qui se pressaient derrière les barrières. De toute évidence, la soirée débuterait bientôt et ils ne voulaient rien rater du spectacle. J’avais encore du mal à croire que j’allais moi aussi assister à cet événement. Ce n’était pas la soirée de clôture mais quand même, il y aurait de beau monde. Et il y aurait LUI, surtout.

Je laissai mon esprit divaguer en songeant qu’il était vraiment très séduisant en smoking noir, rien à voir avec l’autre gravure de mode dégénérée. Je sentis les ailes du papillon souffleter contre mon oreille. « Comme c’est do … »

J’ouvris grand la bouche et laissai échapper un cri qui aurait facilement pu concurrencer ceux de Lola si un jury avait était présent pour nous départager.

Je me retournai paniquée vers Théo et Lola qui se décollèrent d’un seul coup en me regardant étonnés. D’ordinaire c’était le rôle de Lola de hurler comme ça mais …

« C’est impossible, je ne peux pas vous accompagner à cette soirée. Je …j’ai rien à me mettre !! »

Lola éclata de rire tandis que Théo soupirait bruyamment en faisant ‘non’ de la tête.

« T’inquiètes ma vieille, tu te souviens de la petite robe à fines bretelles que tu me conseillais de porter ? Elle t’ira à ravir. Mais je t’avertis, je garde la veste Dolce & Gabbana ! »

La grosse mouche était finalement une gentille libellule et heureusement pour moi, elle était ma meilleure amie.

Chapitre 5 : « Comme c’est dommage »

Théo nous avait rejointes alors que j’étais encore sous le choc de cette rencontre, enfin presque-rencontre, enfin non-rencontre finalement.

Ce mufle allemand nous avait gratifié Lola et moi d’un immense sourire narquois qu’il avait accompagné d’un petit discours ironique.

« Ben alors les filles ?! Pas de hurlements hystériques ? Pas d’évanouissement ? Pas de pamoison ? Vous me décevez là. Ah ! Ah ! »

L’envie m’avait horriblement démangée de lui décocher un royal uppercut dans la mâchoire et la vision du photographe s’écroulant sur le sol en se tordant de douleur avait subitement surgit devant mes yeux. Quelque part, je regrettais sincèrement que la formule magique Adava Kedavra ne soit efficace que dans l’univers imaginaire de J.K. Rowling car à ce moment précis, je l’aurais utilisé avec un plaisir jubilatoire.

La mine désolée de Lola m’avait légèrement réconforté, je savais qu’elle me comprenait et qu’elle aussi avait été hypnotisée par SON apparition inattendue. Elle m’avait pourtant prévenu qu’il logeait dans cet hôtel mais je ne m’étais absolument pas préparée à le croiser de façon aussi rapide et impromptue. En fait de le croiser, je l’avais surtout aperçu de loin mais au moins, j’avais eu la confirmation visuelle qu’il existait réellement. Qu’il était une personne de chair et de sang et non juste ce petit être de fiction qui habitait dans mon écran de télévision et qui me chamboulait les sens chaque lundi soir.

Retenant vaillamment mes pulsions meurtrières, j’avais finalement suivi Théo et Lola dans le dédale de couloirs qui devait nous mener jusqu’à la chambre de Schiffer, l’homme qui valait une Maserati coupé sport. En chemin, j’avais eu la confirmation, à mon grand agacement, que la réputation du photographe allemand n’était plus à faire. Théo avait été salué, interpellé et, embrassé par une bonne vingtaine de personnes liées de prêt ou de loin au monde du show biz et qui lui avait offert des « Hello » et des « How are you ? » excessifs et proprement insupportables. Je m’étais soudain rendue compte que l’hôtel grouillait de ses confrères et consoeurs journalistes et photographes venus couvrir ce Festival international deauvillais. Ils allaient et venaient un peu partout l’air très, très occupés et terriblement sûrs d’eux.

J’imaginais que derrière les portes closes que nous longions se tenaient tout un tas d’interviews et de séances photos. Tout en suivant notre célébrissime guide, grossièrement collé à Lola qui irradiait de plaisir, je n’avais pas cessé d’épier dès qu’une porte s’entrebâillait, essayant de repérer un visage connu ou même juste le timbre d’une voix familière.

Mais le mauvais sort s’était acharné contre moi et je n’avais fait qu’entrapercevoir en coup de vent à travers une superbe baie vitrée, le décor d’un plateau de télé reconstitué sur les bords de la piscine de l’hôtel. J’avais néanmoins eu la chance de reconnaître le monstre sacré du cinéma américain qui se pliait de bonne grâce aux questions de deux journalistes entrain de gesticuler sous les feux de trois énormes projecteurs et devant l’objectif d’une caméra relativement passive. Je me rappelais vaguement avoir lu dans le Nouvel Observateur que cet acteur et réalisateur mondialement connu et Impitoyable devait présider cette année le Festival en question.

J’avais eu l’impression de flotter dans un rêve éveillé jusqu’à ce qu’on arrive dans l’antre du briseur de cœur germanique. Là, Théo avait retrouvé l’un de ses assistants, en plus il avait des assistants, occupé à préparer son matériel de photo et ils s’étaient mis à palabrer en allemand sans plus se soucier ni de Lola, ni de moi. Nous avions finis par comprendre que sa majesté és photo avait été nominé dans la catégorie « Meilleur léchage de bottes » puisqu’il avait réussi à obtenir une séance de shooting exclusive avec une actrice italienne révélée par le dernier Woody Allen et que tout le monde s’arrachait depuis son arrivée en ville. La star capricieuse avait refusé toutes photos jusqu’à ce qu’elle apprenne que le Grand Schiffer était à Deauville, et elle avait exigé qu’il s’occupe d’elle en personne. Mais qu’est-ce qu’elles avaient toutes avec ce type ?! Bien entendu, Lola avait pitoyablement supplié qu’il la laisse assister à cette séance qui devait avoir lieu dans l’après midi et j’avais eu vraiment honte pour elle en la voyant se mettre littéralement à genoux devant lui. Ahem …

Je les avais laissé régler leur petite affaire tous les deux et j’avais gentiment mais fermement repoussé l’offre de Günter, assistant-esclave attitré de l’ami Théo, qui m’avait proposé d’aller boire un verre en attendant la fin des négociations entre son maître et ma meilleure amie. Sa proposition était on ne peut plus galante et le jeune homme fort agréable au demeurant, mais il ressemblait un peu trop à mon ex, Justin, dont le souvenir encore douloureux me serrait le cœur lorsque je rencontrais un chevelu brun aux yeux verts et à l’apparence très ‘leader de groupe de Métal’, ce qui était le cas de Günter ici présent, dommage pour lui.

Lola avait été ma bouée de sauvetage durant ce catastrophique épisode de ma vie amoureuse. Elle avait courageusement supporté mes crise de larmes à répétition et participé activement au pogrom amélioré que j’avais improvisé au milieu de ma chambre et où j’avais détruit toutes mes photos et tous mes albums du groupe de Justin. Je crois que depuis ce moment là, je n’avais plus jamais voulu écouter une seule note de sa musique que j’adorais pourtant à l’époque. De cette relation passionnée qui avait duré plusieurs années, j’avais conservé des influences et des goûts musicaux que Lola ne partageait pas et une tendance très poussée à m’habiller en noir. Je devais fréquemment rappeler à mon amie que l’univers du Métal n’était pas plus dangereux à côtoyer que celui de la photo, et pour cause. Mais cela ne l’empêchait pas d’être très inquiète lorsque j’allais à un de ces concerts démoniaques où elle était persuadée que les musiciens se prêtaient sur scène à toutes sortes de rituels sacrificiels. Pour rien au monde elle n’aurait accepté de m’y accompagner, même si elle m’aimait beaucoup, elle avait ses limites.

J’avais aussi les miennes, c’est pourquoi j’avais catégoriquement refusé de jouer comme elle les petits chiens derrière Théo toute la journée et après qu’elle m’eut indiqué l’adresse de son hôtel, nous nous nous étions séparées et données rendez vous là bas vers 18h00.

18h15. J’attendais devant L’Espérance, c’était bon signe, rue Victor Hugo, et bien entendu, je n’avais toujours reçu aucun appel, ni SMS sur mon portable.

Mais bizarrement, cela ne m’étonnait pas vraiment. Après avoir poireauté quelques temps dans le hall de l’hôtel Royal sous l’œil inquisiteur du portier, sans aucune nouvelle de Lola, j’avais fini par quitter les lieux la mort dans l’âme sans avoir eu la moindre prunelle bleutée à me mettre sous la dent. J’avais passé le reste de l’après midi à flâner ou plutôt à errer comme une âme en peine dans les rues de Deauville au milieu de la foule des touristes de tous horizons venus dans cette belle région de Normandie dans l’espoir d’y croiser une vedette de son célèbre festival annuel plus qu’avec l’envie d’en apprécier son cidre fermier.

18h20. Mon estomac grondait furieusement pour me rappeler qu’hormis un petit sandwich acheté ce midi dans le train, je n’avais rien mangé de consistant depuis des heures. Je mourrais de faim. Dans la crainte de rater Lola, j’hésitais à bouger de mon poste d’observation stratégique pour trouver une boulangerie. Le réceptionniste de son hôtel n’avait pas voulu me laisser monter dans sa chambre tant que ‘Mademoiselle Lola’ n’était pas arrivée en personne. Merci, la confiance règne !

18h25. Je commençais à maudire Lola et à me dire que finalement elle méritait bien le gigolo qui lui tenait lieu de petit copain.

18h30. Un sentiment d’abandon et de déprime totale m’anéantissait peu à peu et je me sentais seule comme jamais.

18h35. La sonnerie de mon téléphone portable me prit presque par surprise tellement mon esprit s’était détaché de mon corps terrestre m’emportant dans les limbes du désespoir.

18h36. Un hurlement caractéristique me confirma que l’organe vocal de Lola était en parfait état de fonctionnement.

« Désolée ma vieille !! Ramène tes fesses au Royal. Changement de programme, pas le temps de t’expliquer par téléphone. Aboule !!! »

Et voilà, elle avait raccroché, plus vite que l’éclair, je me demandais si je la haïssais ou si je l’adorais. Bref, je décidais de lui laisser encore une chance et je me dirigeais d’un pas lourd et fatigué vers le Boulevard Cornuché, tout de même titillé par une pointe de curiosité.
Elle me sauta dessus à peine les portes du palace franchies.

« Grouille-toi, Théo nous attend dans sa chambre !!! » Elle me propulsa littéralement vers les portes de l’ascenseur.

« J’ai passé une très bonne après midi, merci Lola. Et toi, ton actrice italienne ? »

« Hein ? … Oh, elle ? Une vraie conne ! Affreuse sans maquillage en plus ! Mais on s’en fout, j’ai une super nouvelle ! »

Encore une ?! C’était quoi cette fois ? Théo lui avait permis de nettoyer l’objectif de son appareil photo ou de porter son sac pendant qu’il en draguait une autre ? Nous étions seules dans l’ascenseur et je me dis que c’était peut être le bon moment pour lui parler de cœur brisé à cœur brisé. J’avais une mémoire moins sélective que la sienne et je devais lui en faire profiter.

« Lola … »

« Jeanne, faut que … »

Pas le temps, la cage d’ascenseur venait de faire escale au premier étage pour embarquer une nouvelle cargaison de passagers et les portes s’ouvrirent en sonnant sur un tableau plutôt stupéfiant. Ding ! Comme par un effet de baguette magique, un couple en tenue de soirée, et robe à paillette se tenait devant nous. Bababoum ! Je ne voyais que la haute silhouette de l’homme élégant et distingué qui les accompagnait et que je reconnus aussitôt. Deux yeux couleur opaline, pas vraiment bleu vu d’ici, illuminaient son beau visage aux traits gracieux. IL portait avec classe un smoking noir orné d’une pochette de satin et d’un nœud papillon. Sa veste entrouverte laissée deviner une ceinture bandeau qui lui ceignait la taille. Je l’avais rarement vu aussi beau, ni d’aussi prêt d’ailleurs.

Les trois passagers potentiels de notre navette ascensionnelle interrompirent leur conversation en nous apercevant et le deuxième homme qui n’était autre que le réalisateur Alan Potter, nous demanda avec un sourire charmant :

« Down ? »

Lola et moi devions avoir l’air de deux parfaites idiotes complètement bouchées, l’une comme l’autre incapable de répondre.

Comme dans un rêve, mon héros cathodique vola à notre secours et avec un sourire magnifique prononça dans un français à l’accent absolument délicieux :

« Descendez-vous ? »

« No. Up ! » Fit Lola en pointant bêtement son index vers le plafond.

« Comme c’est dommage. »

Ces quelques mots énoncés d’une voix au timbre chaud et sensuel, il faut bien l’avouer, trouvèrent sans effort le chemin de mon cœur et s’y logèrent avec une douceur telle, qu’elle laissa dans son sillage une agréable sensation d’apaisement.

Il recula d’un pas et tendit une main aux longs doigts effilés pour appuyer sur le bouton d’appel de l’ascenseur voisin. Les portes de notre cage d’acier entamèrent leur processus de fermeture automatique et je ne sais dire ce qui me retint de me jeter entre elles pour stopper leur progression. Je ne voulais pas être séparée de lui, de son regard, de sa présence tout simplement. Mais mes pieds semblaient rivés au sol et mes cordes vocales avaient fait leurs valises pour Mars ou ailleurs mais en tous les cas très loin de moi. J’étais muette et paralysée.

Juste avant que les portes ne se referment pour nous couper définitivement de lui et de ses amis, je le vis jeter un coup d’œil rapide sur mes Docs usées. Il arqua un sourcil et son sourire s’élargit largement, accentuant les fossettes de ses joues. Incrédule, je croisais son regard fabuleux un très court instant sans arriver à déchiffrer ce que j’y lisais. Puis, le métal reluisant de la porte fermée me renvoya mon propre sourire figé.

Au moins, je lui avais rendu son sourire pensais-je encore éblouie tandis que toutes forces m’abandonnaient et que je me laissais glisser sur le sol, le dos contre le mur de l’ascenseur qui reprenait sa banale ascension.

Chapitre 4 : Ralph, Jean-Paul, Coco et les autres

Lola m’attendait au bout du quai vêtue d’un jean taille basse ultra chic et chaussée d’étranges chaussures mi baskets, mi escarpins, dont l’ergonomie fit instinctivement recroqueviller mes orteils en imaginant l’état des siens coincés par l’étroitesse du soulier. Elle avait judicieusement agrémenté sa tenue très sport wear, d’un léger débardeur à l’effigie de Ralph Lauren et négligemment jetée sur ses épaules un polo marine rayé bleu et blanc. J’avançais vers elle, fendant la foule des passagers qui se pressait pour rejoindre le hall de gare, et je songeais qu’elle faisait très couleur locale habillée de cette façon. Je notai que toutes les femmes autour de moi portaient au moins un vêtement de style marin. Je me félicitai une fois de plus de m’être habiller tout en noir, au moins, je ne me fondrais pas dans la masse, moi. Toutes ces femmes croyaient-elles vraiment qu’on allait les prendre pour des autochtones juste parce qu’elles s’étaient déguisées en modèle de chez Jean Paul Gaultier ?

Il ne manquait plus à Lola qu’une épuisette et un saut pour parfaire le tableau. Néanmoins, si elle voulait vraiment aller ramasser des crevettes sur la plage, je lui conseillerais vivement de changer de chaussures. Je pouffai en l’imaginant affublée d’une paire de bottes en caoutchouc jaune vif et d’un ciré du même coloris. Comme j’approchai, elle m’aperçut enfin et me fit un grand geste de la main manquant d’éborgner un imprudent monsieur qui passait prêt d’elle et qu’elle ignora royalement.

« Jeanne ! Jeanne ! »
Elle gesticulait frénétiquement en criant inutilement mon nom étant donné qu’elle avait bien vu que je l’avais repérée, mais quelque chose me disait qu’elle le faisait un peu exprès afin d’attirer les regards sur elle. Sacrée Lola, elle ne changerait jamais ! Lorsque je l’eu rejointe, elle ôta ses énormes lunettes de soleil qui lui donnaient l’air d’une mouche géante et je notais les deux C entrelacés qui ornaient les branches piquetées de faux brillants. Je commençais déjà à en avoir marre de tout cet étalage de marques de luxe, mais je me doutais que ce n’était que le début.

« Te voilà enfin !! Je suis trop contente que tu sois là, ma vieille !! Tu m’as manqué, si tu savais !! J’ai un milliard de choses à te raconter. »

Elle me gratifia sur chaque joue de grosses bises retentissantes et me passa un bras amical autour des épaules. Je lui souris, trop heureuse moi aussi de la retrouver. Je devais bien avouer qu’elle m’avait terriblement manqué.

« Théo nous attend, il est garé devant l’entrée. » En me voyant froncer les sourcils, elle ajouta précipitamment. « C’est lui qui a proposé de m’accompagner, il a changé tu sais ! »

Je revoyais encore mon amie en larmes, lamentablement vautrée sur mon canapé entrain de s’empiffrer de crème glacée quelques mois plus tôt alors que Théo Schiffer, le photographe à la mode que le tout Paris s’arrachait, venait de la plaquer pour s’envoler vers Munich, avec dans ses valises, un mannequin suédois probablement mineure par dessus le marché. Il était de mon devoir de protéger mon amie et je décidais de lui parler dès que j’en aurais l’occasion. Pour le moment, nous nous dirigions vers la sortie, bras dessus, bras dessous.

« J’ai réussi à baratiner le réceptionniste de mon hôtel pour qu’il accepte que tu partages ma chambre. Avec le festival, il n ’y a plus une seule chambre de libre dans tous les hôtels à des kilomètres à la ronde. A part dormir chez l’habitant, tu aurais été bien embêtée ce soir ! ah !ah ! De toutes façons, j’ai deux lits simples dans ma chambre et puis, pour tout te dire, je n’y dors pas souvent ces derniers temps. »

Elle me décocha un clin d’œil coquin. Mince, les choses semblaient plus avancées que je ne le pensais avec Théo, et il faudrait que je fasse vite si je voulais arriver à rattraper le truc.

« Mais je ne t’ai pas dit le plus beau ?! J’ai découvert qu’IL loge dans le même hôtel que Théo. Je te jure, même que tout à l’heure on a bu un verre au bar à deux tables de la sienne. Punaise, j’ai rien pu avaler tellement j’étais perturbée. Il est TROP beau en vrai !!! Je ne pouvais pas m’empêcher de le regarder, mais discrètement, tu me connais hein ?! »

Ouais, je la connaissais même très bien et je doutais que le mot discret soit très représentatif de son comportement en général, mais je me gardai bien de lui dire et me contentai de boire ses paroles avidement.

« Je te raconte ça tant que Théo n’est pas dans le coin parce qu’il a piqué une de ces crises de jalousie après ça. Il paraît que j’arrêtais pas de LE mater et que s’en était gênant. Moi, je suis certaine qu’IL ne m’a même pas remarquée. M’enfin… »

Malheureusement, je n’imaginais que trop bien la scène et je ne doutais pas que tout le monde dans le bar avait remarqué son petit manège. Déjà lorsqu’elle se tenait correctement, ce qui dans le cas de Lola était aussi improbable que de se comporter discrètement, elle passait difficilement inaperçue auprès de la gente masculine, son physique avantageux déchaînant le plus souvent une rafale de regards assassins de la part des épouses. Mais en plus, si pour arranger les choses, elle avait passé son temps à espionner la table d’à côté…Je levais les yeux au ciel.

Par contre, à l’idée de Théo lui faisant une scène, je me sentis fulminer. Il était rudement gonflé l’animal quand même.

« Mais je te rassure tout de suite, IL était juste accompagné de son copain réal’ et de sa femme mais pas de girlfriend. Il est venu à Deauville seul, j’en suis sûre !!! »

Elle m’offrit un sourire de connivence tandis qu’on sortait de la salle des pas perdus. Bizarrement, j’étais soulagée par cette nouvelle mais quand même légèrement jalouse à l’idée qu’elle avait eu la chance de LE voir de prêt.

Théo nous attendait au volant d’une Maserati coupé sport décapotable outrageusement rouge, et garée non moins outrageusement en double file. Grand frimeur devant l’éternel, le photographe avait rabattu la capote et arborait fièrement une paire de lunettes de soleil dont je préférais ignorer la marque, ça commençait sérieusement à me saouler. En me voyant, il m’offrit un sourire éclatant qui aurait sans problème rivaliser avec celui d’un certain présentateur has been qui sévissait à la télé française dans les années 80. Je me forçais à lui rendre son sourire mais sans desserrer les dents.

« Salut Jeanne ! Tu vas bien depuis le temps ? »

Oh, ça allait très bien jusqu’à ce que j’entende ton nom prononcé par ma meilleure amie à qui tu as brisé le cœur en mille morceaux, l’abandonnant sans un remord. Salaud !

« Ouais, ça va super Théo ! Et toi ? » Je maudissais ma lâcheté mais je devais épargner Lola avant tout. Elle aimait ce trou du cul.

Il se pencha côté passager sans bouger les fesses de son siège et tira sur la poignée pour ouvrir la portière. Quelle galanterie ! Je remarquais alors que son magnifique coupé sport en plus d’être mal garé et certainement incroyablement cher ne comportait que deux places à l’avant et une banquette riquiqui à l’arrière. Et ouais, c’est pour ça que ça s’appelle un coupé.

« Euh…je m’assois où ? »

Théo sourit de plus belle :
« C’est l’inconvénient avec ces petits joujoux. Absolument superbe mais pas fait pour les familles nombreuses. Mais j’ai pas pu résister à l’acheter ! De toutes façons je ne pense pas fonder une famille dans les jours qui viennent. Ah ! ah ! Quoi que … »

Son regard lubrique détaillant les formes de Lola me donna soudain la nausée et je me souvenais à présent combien je détestais son léger accent allemand. C’est pourtant ce qui avait séduit Lola à l’époque ainsi qu’une bonne centaine d’autres nanas avant elle, et certainement après et surtout pendant.

« Allez ! Jump on board, girl ! On va pas bien loin, tu peux bien arriver à te trouver une petite place à l’arrière. »

Je me glissai à contre cœur dans l’espace étriqué et réussi je ne sais comment à caser mes deux sacs et mes deux jambes entre le dossier et la banquette en cuir beige du bolide. Je songeai avec amertume au fauteuil de seconde classe dans le train que je venais de quitter. Il faisait figure de canapé Everstyle à côté de cette boite à sardines italienne. Lola se coula langoureusement sur le siège passager et Théo lui sauta presque dessus, lui passant une main derrière le cou pour l’attirer contre lui. Il lui roula ce qu’on appelle communément et vulgairement, je l’accorde, un « méchant patin », en ayant prit soin de vérifier que je ne ratais rien du spectacle. J’étais persuadée que s’il n’avait pas de spectateur, ou -trice, ce connard ne devait pas réussir à prendre son pied.

Quand tu auras fini d’essayer d’avaler la langue de ma copine, je pourrais peut être éteindre la chandelle et on pourrait y aller.

« Ah, l’Amour ! » Dis-je en le regardant droit dans les yeux.

Heureusement pour mes pauvres genoux, le voyage jusqu’à l’hôtel fut relativement court si on considère que la gare se trouvait à quelques minutes à peine du front de mer et que nous aurions été aussi vite à pieds vu la circulation. Il se gara devant l’entrée en faisant crisser ses pneus. J’en conclu avec désespoir que son show était loin d’être terminé. Il sauta hors du véhicule sans prendre la peine d’ouvrir sa portière. Ca ne devait sûrement pas être tendance. Puis je le vis avec horreur siffler un portier et lui lancer les clés de son jouet à roulettes. Il glissa un billet dans la poche de son uniforme en lui tapant sur l’épaule d’un geste paternaliste. J’avais envie de vomir et tout en m’extirpant du coupé sport pour célibataire, je me demandais comment j’allais supporter ce mec même si ce n’était que pour deux jours. Lola quant à elle le dévorait des yeux ce qui n’arrangeait pas mon aversion.

Théo était un crétin fini, mais il était évident qu’il savait choisir ses hôtels. Celui-ci était le plus huppé de Deauville, l’Hôtel Royal, très prisé par les stars qui séjournaient en ville. Il était situé prêt du front de mer, non loin du Casino et du centre de thalassothérapie et il suffisait de traverser la rue pour rejoindre le Palais des festivals.

Tout de même un peu intimidée, j’avais pas l’habitude moi, j’entrai dans le hall à la suite du couple princier, j’ai nommé Théo et Lola. Je fus aussitôt écrasée par la splendeur des lieux, les tentures rouges et or, les colonnades, le marbre qui recouvrait le sol et le magnifique piano à queue qui trônait au centre de cet endroit irréel. Je n’osais plus faire un pas, ne me sentant absolument pas à ma place et mal à l’aise dans mes Docs noirs craquées aux encornures avec mon vieux sac Adidas à bout de bras. Théo et Lola avaient filé à la réception et un groom en livrée s’approcha de moi pour me demander avec un sourire contrit si je souhaitais qu’il me débarrasse de mon paquetage. Le ton de sa voix me donna l’impression qu’il avait employé le mot ‘débarrasser’ au sens propre du terme. Avant de m’enfuir en courant, je tentais de bafouiller que je ne faisais qu’accompagner deux amis dans ce lieu féerique et que je n’avais pas la moindre intention d’y séjourner. Non pas que je n’en ai pas envie, mais quelque chose me disait que mon banquier ne serait pas particulièrement enclin à m’octroyer un prêt juste pour régler ma note d’hôtel.

A mon grand soulagement, Lola vola à mon secours pour expliquer au jeune homme qui lorgnait toujours sur mon sac que j’étais son amie et que nous étions là avec Monsieur Schiffer. L’évocation de ce nom béni associé au sourire, et surtout au petit débardeur griffé et au décolleté plongeant de Lola, eut pour effet de décrisper le cerbère en costume qui nous proposa subitement d’une voix mielleuse de déposer nos ‘effets’ au vestiaire durant notre visite dans son établissement. Ce que je refusais d’une voix toute aussi mielleuse, mon sac étant très bien avec moi. L’employé zélé finit par nous abandonner à notre triste sort non sans avoir jeté un dernier coup d’œil méprisant sur ma tenue peu orthodoxe.

« Tiens ma vieille, tant que j’y pense, voilà ton pass pour la conf de demain. Tu sais, Théo et moi, on a du taf ici et je ne sais pas si j’aurais beaucoup de temps à t’accorder alors … essaie de profiter des lieux pendant ce temps là. L’hôtel a une super piscine. »

« J’ai pas de maillot. »

« Ah ? Ben c’est pas grave, il y a plein de boutiques en ville, si tu veux aller faire du shopping. »
Mais elle délirait là ou quoi, je n’avais pas était écrasée et, tripotée dans les transports en communs, puis de nouveau écrasée dans la caisse de son amant « m’as-tu vu » pour venir jouer les touristes à Deauville. J’allais lui dire le fond de ma pensée quand un brouhaha de voix me fit tourner la tête.

Une nuée de personnes plutôt bruyantes venait de déboucher dans le hall d’accueil. Et IL était là parmi eux. Visiblement, ils sortaient tout juste d’un salons privés de l’hôtel. Deux nanas très sophistiquées griffonnaient sur les bloc notes qu’elles tenaient à la main. Une autre au visage très sérieux, avait plaqué un téléphone portable contre son oreille et ne quittait pas l’acteur des yeux. Un homme sapé comme un représentant de commerce faisait de grands gestes en parlant fort. Et lui, au milieu de tout ça, écoutait, la tête penchée, attentif et poli, acquiesçant par moment. Je voyais son profil parfait, son nez gracieux et ses pommettes arrondies. Je notais que ses cheveux étaient plus longs que dans la série ce qui lui allait plutôt bien. Il se balançait légèrement d’avant en arrière, les mains dans les poches, mais sans que cela dénote un quelconque malaise. Au contraire, je le sentais parfaitement à l’aise et très calme. Son interlocuteur lui dit quelque chose qui l’amusa et il redressa la tête en riant. Je me sentis fondre au son de ce rire si familier. Cette fois, je l’entendais pour de vrai, sans filtres artificiels. Pas d’écran de télé, ni de hauts parleurs entre son rire et mes tympans. Malgré la distance qui nous séparait, je vis nettement les coins de sa bouche se relever et une ridule se dessiner sur sa joue alors qu’il riait. Par photos interposées, je connaissais tellement par cœur tous ses petits détails qu’une envie dévorante m’envahit d’un coup et je me mis à désirer ardemment qu’il tourne la tête juste un instant pour que je puisse voir ses yeux.

Au lieu de ça, la nana au portable raccrocha et lui glissa quelques mots à l’oreille, il hocha la tête et interrompit le flot de paroles du gars en costard. J’entendis et reconnu comme dans un rêve sa voix rauque et posée sans saisir ce qu’il disait. Mais je compris qu’il prenait congé du simili VRP en lui serrant chaleureusement la main. Les autres nanas se mirent soudain à papillonner autour de lui et finalement la fille au portable remporta le gros lot en lui agrippant le bras, elle prononça le mot « hurry » avec un fort accent américain. Il salua son entourage une dernière fois et sans un regard en arrière, suivit dans le couloir la femme qui devait être son attaché de presse.

« … ma vieille ? … »

Lola me tirait par le bras mais je n’arrivais pas à réagir.

Alors c’était tout ? Mais c’était pire que tout justement. Le voir, mais être en dehors de son univers, en dehors du cercle. Je me tenais là à quelques pas de lui mais il ne m’avait pas vue, il ne m’avait pas cherchée des yeux. D’ailleurs, pourquoi l’aurait-il fait ? Je n’étais personne pour lui. Ce n’était pas de l’indifférence de sa part. C’était juste la réalité. Et je venais de réaliser avec un désespoir terrifiant que sa réalité n’était pas la mienne. Et qu’elle ne le serait probablement jamais.

Chapitre 3 : On the road again …

J’étais restée catatonique devant le SMS de Lola pendant plusieurs minutes puis je m’étais mise à voler littéralement dans mon appartement, tourbillonnant d’une pièce à l’autre comme un Taz en furie. J’avais extirpé de dessus mon armoire, mon sac de voyage couvert de poussière, mais au moins pas de Curly dans ce coin là, le contraire m’aurait passablement inquiété. J’avais sélectionné à l’arrache quelques fringues parmi le fatras sans forme toujours étalé un peu partout dans ma chambre.

Sélectionner était un bien grand mot si l’on considérait que je piochais au hasard dans la pile de vêtement sans vraiment réfléchir. Le fait est que je n’avais pas vraiment le temps de m’attarder sur le choix existentiel de ma garde robe. Ce qui m’aurait d’ordinaire pris deux bonnes heures d’indécision et de crises de désespoir devait être aujourd’hui réglé en 30 minutes montre en main. Car je devais prendre le train de 11h30 qui partait de la gare St Lazare et il était déjà 10h00 bien sonnées. J’habitais Montmartre, dans le 18e et n’avais heureusement pas tout Paris à traverser en métro mais me connaissant, avec mon sens inné de l’orientation, il ne valait mieux pas que je traîne et je devais encore acheter mon billet. Autant dire que mon planning était serré, et je devais au plus tard avoir atteint le guichet de la gare pour 11h00 tout en tenant compte de la marge d’imprévus prévisibles qui tombaient irrémédiablement sur moi dans ces moments là.

Je fourrai donc au hasard dans mon sac, des sous vêtements de rechange, un petit pull col V au cas où le climat normand déciderait subitement de précipiter l’arrivée de l’automne en mon honneur, un jean usé que j’avais porté un ou deux jours durant la semaine mais qui ferait bien l’affaire, un vieux T-Shirt tout déformé, dernier vestige de mes années Bon Jovi et sur lequel on devinait encore le décalco délavé représentant le groupe à son heure de gloire, tout de cuir vêtus, cheveux longs et crêpés. C’était pour dormir de toutes façons.
Je fis un saut dans la salle de bain où j’enfournai machinalement toute une batterie de produits de beauté dans ma trousse de toilette qui s’avéra forcément trop petite pour contenir autant de flacons et tubes pourtant indispensables à mon voyage. Ne pouvant fermer complètement la fermeture éclair, je calai la trousse telle quel dans le fond de mon barda et, je croisai les doigts pour qu’elle ne déverse pas tout son contenu parfumé mais néanmoins collant dans mon sac pendant le voyage.
J’étais atterrée de voir que le strict minimum vital que j’avais pourtant rigoureusement sélectionné, débordait déjà de mon petit sac. Devant ce spectacle déprimant, j’hésitai à ajouter une serviette de toilette qui a coup sûr empêcherait la fermeture de la glissière. Un rapide coup d’œil aux aiguilles en forme de zig zag qui sautillaient sous le cadran de ma montre Kickers me confirma que je n’avais plus le temps de tout ressortir et de chercher un sac plus grand. Tant pis, dans un geste résigné, je rejetai l’épaisse serviette violette brodée à mes initiales, idée cadeau fort originale que j’avais reçu à mon dernier Noël et, je me rabattis sur ma paire de collants résilles préférée, ça pouvait toujours être utile et au moins ça ne prenait pas trop de place.

Je glissai mes pieds nus dans une paire de chaussettes noires et enfilais par habitude mes vieilles Docs au cuir élimé. Malgré les remarques incessantes et désagréables de Lola concernant ces chaussures, je refusais catégoriquement de m’en séparer, j’étais bien trop à l’aise dedans et puis je ne sais pas, elles me rappelaient une certaine époque et j’y tenais. Dans un élan de lucidité, je pensais à éteindre mon PC, à prendre mon chargeur de portable et, mon lecteur MP3 en priant pour que les piles fonctionnent suffisamment longtemps pour que je puisse l’utiliser dans le train. Un rapide et dernier tour d’horizon avant de partir puis j’enroulai un immense chèche autour de mon cou, j’étais facilement sujette aux angines. D’une main déterminée, je passai la sangle du sac sur mon épaule et sorti sur le palier. Au moment de tourner la clé dans la serrure, je me frappai le front avec la paume de ma main et rouvrit la porte. Je marmonnai dans ma moustache en attrapant rageusement mon sac à main que j’avais consciencieusement oublié et qui trônait sagement sur la commode dans l’entrée. J’étais irrécupérable !

Miraculeusement, j’avais attrapé le premier métro sans avoir besoin de courir, j’étais sortie à la bonne station et je n’avais même pas attendu plus de 15 minutes au guichet de la gare pour acheter mon billet. Le regard glacial que j’avais lancé à la vieille dame qui m’avait poliment demandé si je pouvais lui laisser ma place dans la file d’attente m’avait certainement beaucoup aidé mais je préférais ne pas m’attarder sur ce point. A la guerre comme à la guerre ! Je n’avais pas le temps d’être aimable et mon train était déjà à quai prêt à partir.

A présent, j’étais confortablement installée dans le train corail Paris-Deauville, à côté d’une grosse dame au mutisme spectaculaire qui faisait comme si je n’existais pas, m’enfonçant son coude dans les côtes et, face à un adolescent dégingandé, gigantesque, aux oreilles décollées dont les jambes interminables m’obligeaient à me tenir de travers pour éviter que nos genoux ne se touchent sans arrêt. Il me souriait d’un air niais sans s’excuser à chaque fois que sa jambe frôlait la mienne et je soupçonnais, légèrement dégoûtée qu’il le faisait exprès. Le wagon était bondé et je ne voulais pas chercher une autre place au risque finalement de me retrouver debout pendant les deux heures de trajet. Mais qu’est ce que tous ces gens allaient faire à Deauville, nom d’une pipe ?

Agacée, je feignis donc ostensiblement de ne rien remarquer et décidai d’ignorer dignement mes voisins de route. Je fouillai dans mon sac besace en croûte de cuir et trouvai finalement les oreillettes de mon lecteur MP3 coincées entre mon portefeuille Naf-Naf et mes Rayban. J’enfonçai soigneusement les petites pastilles de plastiques dans mes oreilles et pressai le bouton « ON ».
Alors que les tamtams entamaient leur mélodie chaude et rythmée, je laissai la musique couler comme une rivière sonore dans ma tête en ébullition. J’attendis impatiemment le premier riff de guitare et l’arrivée de la voix grave et si familière du chanteur. Cet improbable mélange musical agit sur moi instantanément, m’apportant paradoxalement un calme et une plénitude que contredisait bruyamment le tempo de la chanson. Il n’empêche, je me sentais bien, et prête à affronter ce qui m’attendait à Deauville. Je sortis mon téléphone portable pour envoyer un SMS à Lola, lui annonçant que j’avais bien embarqué à bord du Deauville Express et qu’elle avait intérêt à m’attendre à mon arrivée. Je cliquai sur « envoi » et les petites notes caractéristiques du téléphone portable brouillèrent quelques secondes les ondes de mon MP3.
« Message bien envoyé ».

Je m’enfonçai dans mon fauteuil et autorisai enfin mon cerveau à réfléchir, ce que je lui avais interdit depuis la lecture du dernier SMS de Lola. J’avais foncé directement à la gare sans me poser de questions et je ne pouvais plus faire marche arrière. Dans 2h00 j’allais débarquer sur les quais de la gare de Deauville et je n’osais me laisser aller à penser que j’allais peut être LE rencontrer là bas.

Je connaissais un peu Deauville pour y avoir travaillé un été pendant mon adolescence et même si ce n’était pas un petit village où tout le monde se connaissait, les gens qui participaient au Festival s’agglutinaient le plus souvent dans les palaces sur le front de mer et il suffisait de se balader dans les parages pour avoir la chance de croiser certaines stars du petit et du grand écran. Je fis la moue, ce n’était pas mon univers et mon expérience deauvillaise ne m’avait pas laissé un souvenir impérissable, j’avais eu du mal à me sentir à ma place dans ce milieu de riches insouciants qui dilapidaient leur argent dans les casinos et les spas en se racontant leurs dernières vacances à Ibiza ou Palm Beach. M’enfin, je ne voulais pas me stresser d’avantage et je fermais les yeux pour savourer ce moment. Je calai mon chèche comme un oreiller sous ma joue collée contre la vitre et en quelques secondes je sombrai dans un semi sommeil bercé par le roulement régulier du train.

Deux prunelles bleus dansaient devant moi, au dessus d’une rangée de dents scintillantes impeccablement alignées. Une voix profonde résonna étrangement et un rire enthousiaste m’arracha un sourire irrépressible. Il se tenait sur une scène au milieu d’autres acteurs avec lesquels il jouait dans la série. Il souriait et se tournait volontiers à l’appel de son nom clignant des paupières sous les rafales de flashs incessants, tandis qu’une armada de photographes les canardait avec des appareils aux zooms démesurés.
Sérieux, je m’étais toujours demandé si c’était un concours entre eux, les photographes, à celui qui aurait le plus gros, le plus long, enfin … je sais pas, ça m’avait toujours fait marrer.
Subitement, je reconnus ma propre voix qui appelait son prénom, bêtement, comme tous les autres amassés au pied de la scène. Et pourtant, étrangement, il sembla percevoir ma voix perdue au milieu du brouhaha. Il tourna la tête dans ma direction, ses yeux scrutant la foule. Je m’étais tu, le cœur battant, bloquant ma respiration. Au moment où ses yeux accrochèrent les miens, je reçu comme une décharge électrique en plein cœur. Il me fixait intensément, sourd à présent aux appels des photographes qui s’impatientaient et criaient son nom de plus belle. Il ne souriait plus, les yeux rivés sur moi. Je contemplais son visage concentré et j’eu la certitude que c’était lui, l’homme de ma vie. Je ne pouvais pas me tromper. Un des acteurs près de lui, attira son attention en posant une main sur son bras et il se détourna juste assez longtemps pour que je m’esquive en me faufilant entre les silhouettes sans visage qui m’entouraient. Je ne me retournais pas pour voir s’il m’avait vu partir. J’essayais de me mettre à courir, je sentais que je devais fuir, m’échapper le plus loin possible de cet endroit mais quelqu’un me retenait par le bras, et me secouait. Je tentais de le repousser, demandant qu’on me laisse tranquille mais la pression s’accentua sur mon épaule et je sentais qu’on me secouait de plus belle.

Je repris brusquement pied dans la réalité, pour découvrir qu’un des écouteurs avait glissé de mon oreille pendant mon sommeil et que mon opulente voisine me secouait comme un prunier pour me réveiller. Je compris très vite malgré ses bougonnements inintelligibles mâtinés d’un fort accent du Nord, qu’elle était indisposée par le bourdonnement continu qui émanait de mon lecteur MP3. J’estimais pour ma part que c’était une faveur que je lui offrais en lui faisant découvrir ce groupe helvète fabuleux aux sonorités électro surprenantes. Mais elle ne semblait décidemment pas de mon avis et n’accepta de se renfermer dans son mutisme que lorsque j’eu enfin éteint mon appareil au son démoniaque.

Le géant aux feuilles de choux quant à lui, profita honteusement de l’incident pour étaler un peu plus ses jambes sous mon siège et pensant sûrement que c’était le moment de saisir sa chance, il se pencha vers moi pour me demander d’un air complice ce que j’écoutais. Je faillis exploser de rire en entendant sa voix haut perchée d’adolescent entrain de muer, qui jurait complètement avec son physique. Pourtant, je me retins en imaginant combien il devait souffrir de cette période de croissance ingrate qu’il subissait sans pouvoir rien y faire. Malheureusement pour lui, son genou qui se rapprochait dangereusement du mien me fit frissonner de dégoût et refroidit la minuscule parcelle de pitié que j’avais ressenti pour lui.

« Pourriez vous, s’il vous plait, ôter vos jambes de mon espace personnel. Je ne voudrais pas être obligée d’appeler un contrôleur. Merci. »
Sous entendu « Espèce de porc, tu peux virer tes sales pattes et arrêter de te frotter à moi sinon je crie au viol ! Vicieux ! »

L’adolescent me lança un regard ahuri et s’empressa de replier ses jambes sous son siège ce qui lui donnait un air encore plus crétin. Je hochai la tête satisfaite mais énervée, il m’avait gâché mon rêve cet imbécile.

Je laissai mon regard se perdre dans le paysage insaisissable qui défilait de l’autre côté de la vitre et je songeai tristement que de toutes façons ce n’était qu’un rêve. Un de plus. Pourquoi étais je venue à Deauville ? A quoi bon ? Franchement, il fallait que je fasse quelque chose contre mon moral en dent de scie qui avait pris la fichue habitude de n’en faire qu’à sa tête.

Je voulais juste être heureuse moi, je ne demandais pas grand-chose.